Le forum d’affaires Turquie-Afrique ouvre ses portes sur un ton très politique
En amont du forum d’affaires Turquie Afrique qui s’ouvre ce mercredi 2 novembre, les autorités turques ont voulu montrer à la presse africaine présente lundi à Ankara qu’elles voulaient établir des relations de confiance avec le continent africain tout en tournant résolument le dos à l’Europe et aux États-Unis.
Un panneau puis un autre. C’est en déambulant devant une exposition de photos retraçant l’histoire de la Turquie durant les 50 dernières années que Mehmet Akarca, le directeur général de la presse et de l’information auprès de la primature, a accueilli à Ankara lundi matin au sein de son institution une quinzaine de journalistes africains accrédités pour le forum d’affaires Turquie-Afrique qui se tiendra les 2 et 3 novembre prochains à Istanbul.
Commentant ainsi une histoire plus que mouvementée, « émaillée en moyenne tous les dix ans depuis 1961 de coups d’État militaires qui se sont conclus en arrestations et procès de chefs d’État, voire en exécutions… », rappelle cet ancien journaliste et ex-député.
Jusqu’à remonter très vite le temps et dresser de manière flatteuse le bilan de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 14 ans, et de Recep Tayyip Erdogan, qui fut Premier ministre avant de devenir président du pays en 2014.
Un message très politique à l’adresse des journalistes africains
« En 2002, le pays était en quasi-faillite, 20 banques avaient baissé le rideau, il y avait 500% d’inflation, le FMI était à la porte de la Turquie, plus aucun investisseur ne venait. Presque quinze ans après, de très grosses infrastructures poussent de partout, la Turquie ne doit plus un sou à qui que soit et prête même 5 milliards de dollars au FMI ! »
Mais alors que tout le monde s’attendait à écouter un discours centré sur la croissance des échanges économiques entre la Turquie et le continent africain, qui ont quadruplé entre 2003 et 2014, passant de 5,3 à 23,4 milliards de dollars, le message martelé durant près de trois heures auprès des journalistes africains aura été, étonnamment, extrêmement politique, exclusivement orienté sur la tentative de coup d’État avortée du 5 juillet dernier.
“La démocratie a gagné” diffuse en boucle une vidéo montrant les chars repoussant les putschistes ainsi que le parlement bombardé. « Certains pays européens n’ont pas présenté leurs condoléances à la suite du putsch qui a fait 245 morts, on a l’impression qu’ils s’en réjouissaient presque, la presse européenne n’a montré que les hélicoptères des putschistes et pas nos chars”, poursuit le directeur général, très remonté.
Mais au lendemain du 93ème anniversaire de la République turque durant lequel le président Erdogan a évoqué le rétablissement de la peine de mort notamment pour les auteurs du coup d’État, les autorités turques n’avaient ce jour qu’un seul nom en tête : le prédicateur Fethullah Gülen, chef de la confrérie du même nom, accusé par Ankara d’avoir ourdi le putsch et qui est retiré aujourd’hui aux États-Unis.
Le Fetö n’est pas une menace que pour nous, elle le sera aussi pour vous.
Lequel, tenant d’une doctrine de l’islam qui lui est propre, a infiltré depuis 40 ans de nombreuses strates de l’État, l’administration, l’armée, la magistrature et la police. “Le ‘Fetö’ [nom donné par le pouvoir en place à l’organisation, terroriste selon ce dernier, de Gülen] n’est pas une menace que pour nous, elle le sera aussi pour vous”, tentera de convaincre plus tard dans l’après-midi le président de l’agence des Turcs de l’étranger.
Le réseau de Fethullah Gülen en Afrique dans le viseur
Si les représentants turcs ont très lourdement insisté sur ce point auprès des relais de l’information africains reçus à Ankara, c’est que la confrérie güleniste a aussi tissé sa toile dans une quarantaine de pays subsahariens depuis vingt ans, avec une centaine d’écoles, d’universités ou au travers d’ONG.
Des écoles qui, à 10 000 euros les droits d’inscription, sont exclusivement dédiées à l’élite des pays, et que le gouvernement turc tente de faire fermer par tous les moyens. Il y est parvenu notamment en Somalie, pays avec lequel il a tissé de nombreux liens militaires, économiques et diplomatiques, en Gambie et en Guinée en octobre dernier où l’école Citadelle de Conakry comptait près de 1200 élèves. Au Nigeria, la Turquie a également requis en août la fermeture de 17 établissement soupçonnés d’appartenir à la confrérie.
Questionné dans la foulée sur la liberté de la presse dans son pays, le directeur général de la presse aura évoqué le chiffre de 43 journalistes emprisonnés. “C’est très peu, d’ailleurs ce ne sont pas des journalistes, ce sont des terroristes ; aussi quand des pays européens condamnent la négation du génocide arménien, c’est bien une restriction de la liberté d’expression”.
Charge contre l’Europe
Mais de ce long « brief », la charge contre l’Europe aura été la plus mémorable, alors même que le processus d’adhésion de la Turquie encore en cours semble de plus en plus compromis. “Nous sommes critiqués à outrance alors que nous accueillons 3 millions de migrants de Syrie et d’Irak et leur consacrons 15 milliards de dollars. L’Union européenne a promis 6 milliards d’euros en avril à la Turquie mais n’a pour l’instant donné que 150 millions, elle nous a demandé beaucoup trop de conditions”, a déclaré Mehmet Akarca.
Alors que s’altère aussi de plus en plus la confiance envers les alliés américains, partenaires du pays au sein de l’OTAN, les autorités turques ont beaucoup avancé le mot de fraternité pour qualifier l’ouverture de la Sublime Porte à l’Afrique.
“On a des amis africains à qui on a empêché de parler leur propre langue car les Français et Britanniques ont colonisé ces pays ; ils vous ont réduits en esclavage, exploité vos sous-sols. Ce sont les mêmes qui veulent importer des conflits en Turquie et en Afrique car ils y ont des intérêts notamment énergétiques.”
Mais quelle est donc cette fraternité dont Ankara souhaite écrire le nom sur le continent ?
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