Tunisie : les drones, aubaine ou menace pour la sécurité et le tourisme ?
Un peu partout dans le monde, l’utilisation des drones explose et les autorités sont parfois amenées à durcir leur législation par mesure de sécurité. Mais qu’en est-il en Tunisie, ou le sujet a déclenché de nombreuses polémiques ?
Trois jours avant l’annonce par le président Béji Caïd Essebsi d’une prolongation de l’état d’urgence de trois mois, le 18 octobre, l’affaire a fait la une des médias. Un homme se fait arrêter pour suspicion d’appartenance à une organisation terroriste. Informée du fait qu’il possédait un drone, une patrouille commune des brigades des recherches et investigations de la garde nationale avait au préalable fouillé le domicile du jeune homme, un rappeur connu sous le pseudonyme de Hamma K8T. Elle y avait trouvé le petit appareil, équipé d’une caméra ainsi que six feux d’artifices et une photo de lui tenant le drapeau noir de Daech, précisait le ministère de l’Intérieur dans un communiqué.
Suite à cette arrestation, les internautes s’emparent du sujet, déplorant le fait que posséder un drone puisse être sanctionné de prison. L’homme sera finalement relâché le 21 octobre. Mais dès la fin du mois, un nouveau débat sur la présence ou non d’une base américaine de drones en Tunisie agite le pays… Les autorités sont obligées de démentir… À croire que l’utilisation de drones est obligatoirement synonyme de polémique en Tunisie. Et pourtant.
Un atout pour la promotion touristique ou la communication politique
C’est à partir de 2014 que l’utilisation de drones civils a décollé en Tunisie, année de la première autorisation délivrée, avec notamment la création de sociétés de photographies et de vidéos aériennes comme Pixel Drone Technologies et Skycam Tunisie. Parmi leurs clients, des promoteurs immobiliers, des chaînes de télévision, des réalisateurs, ou encore des sociétés de production.
Des professionnels du tourisme ont aussi pris de la hauteur pour montrer la beauté de la Tunisie et encourager la découverte de ses multiples paysages, comme dans le spot promotionnel « Move for Tunisia », tourné en décembre 2015 et qui met en scène les Yamakasi – adeptes du « parkour ».
L’Office nationale du tourisme a également utilisé des drones pour sa web-série « True Tunisia », tournée dans plusieurs sites du territoire tunisien. Dans la deuxième partie de cette campagne, diffusée à partir de mai 2016, les internautes étaient invités à suivre les aventures de plusieurs Youtubeurs étrangers via des prises de vue aériennes captivantes.
« De plus en plus de réalisateurs, Tunisiens et parfois étrangers, font appel à nous pour des longs ou des courts-métrages. Les images aériennes apportent une autre dimension aux films », explique le directeur de Skycam, Samy Frikha à Jeune Afrique.
Et – grande première -, le 11 octobre 2014, en pleine campagne électorale, le parti alors au pouvoir, Ennahdha, a choisi d’utiliser un drone pour filmer un de ses meeting à Sousse, offrant une vue panoramique de la foule présente ce jour-là.
Une utilisation qui n’a pas manqué de faire réagir les internautes, certains accusant Ennahdha d’avoir enfreint la loi. D’autant que Nidhal Ouerfelli, porte-parole du gouvernement à l’époque, avait démenti, dans une déclaration à l’agence TAP, avoir accordé au parti politique une quelconque autorisation d’utiliser un drone pour filmer cet événement. Car la loi concernant ces machines volantes est stricte. Trop stricte ?
Une loi jugée obsolète
En matière d’autorisations de drones civils, les autorités tunisiennes se réfèrent à un arrêté datant du 6 avril 1995. Un texte jugé aujourd’hui inadapté à ce genre de machines et nécessitant quelques modifications pour répondre aux demandes et aux possibilités actuelles, d’après plusieurs spécialistes tunisiens.
Dans un document datant de 2015, Zohra Lili Chabaane, vice-présidente de l’université de Carthage, évoquait par exemple la possibilité d’utiliser des drones dans le domaine de la recherche agronomique et du développement agricole en Tunisie. Un usage rendu assez difficile par l’arrêté de 1995 « relatif aux activités aériennes touristiques et publicitaires en vue d’effectuer des travaux de photographie ou de cinématographie aérienne ».
La demande d’utilisation de drone doit être validé par quatre voire six ministères pour une autorisation d’une durée d’un mois renouvelable
Celui-ci exige la formulation d’une demande très détaillée un mois avant, précisant l’activité envisagée, sa durée et son lieu, l’identité des opérateurs, ou encore les spécifications techniques du matériel utilisé. Le dossier devra ensuite être validé par quatre ministères avant l’obtention d’une autorisation valable pour une durée d’un mois renouvelable : celui de la Défense nationale, le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Équipement et de l’Habitat et le ministère du Transport. En plus du ministère du Tourisme et de l’artisanat pour des prises de vue dans un but touristique.
« Il est interdit de photographier les infrastructures militaires ou celles appartenant au ministère de l’intérieur à caractère de sécurité ainsi que les Palais, les Résidences présidentielles et les lieux stratégiques », précise par ailleurs l’article 7 de l’arrêté. « La zone filmée doit être strictement définie et encadrée, explique Samy Frikha, et un agent du ministère de la Défense est présent pendant tout le tournage. » S’il admet qu’il faut « beaucoup de patience » pour venir à bout de cette procédure « compliquée », mais aussi pour importer des drones de l’étranger, il considère néanmoins qu’il « est nécessaire d’être aussi stricte, pour éviter des accidents et débordements.» Une procédure longue et contraignante, qui en décourage plus d’un.
Un avantage indéniable dans la lutte contre les terroristes
L’utilisation des drones par les forces armées du gouvernement est aussi un sujet qui soulève plusieurs interrogations et fait l’objet de nombreuses rumeurs. En décembre 2013, un incident impliquant un aéronef télépiloté, lequel s’est écrasé dans la zone de Kasserine, fut la preuve que les forces tunisiennes disposent bel et bien de drones survolant le mont Chaambi et le mont Selloum (au Sud-Est) et patrouillant aux frontières. Il fut ensuite avéré qu’il s’agit de ScanEagle, dont les opérateurs sont formés par des spécialistes américains. Plus économiques, autonomes et résistants, ils représentent des outils précieux pour le repérage des terroristes.
Un sujet sensible qui a fait dernièrement l’objet de tensions américano-tunisiennes, suite à la publication d’un article dans le Washington Post. Le 27 octobre, Belhassen Oueslati, le porte-parole du ministère tunisien de la Défense, a en effet démenti l’information selon laquelle la Tunisie aurait permis aux États-Unis d’utiliser son territoire pour déployer des drones en Libye, rappelant que « les drones sont utilisés par des Tunisiens et par personne d’autre. »
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