Burkina : aux Récréâtrales, le théâtre s’invite dans l’intimité des cours familiales

Le festival de théâtre Les Récréâtrales s’est installé au cœur de la vie de la capitale burkinabè, dans les résidences de plusieurs familles. Une cohabitation extraordinaire qui ravit tout le monde.

Les Récréâtrales se tiennent à Ouagadougou jusqu’au 5 novembre. © DR/Facebook Récréâtrales

Les Récréâtrales se tiennent à Ouagadougou jusqu’au 5 novembre. © DR/Facebook Récréâtrales

Publié le 4 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Bruno Bazié a les traits tirés. Depuis quelques jours, le chef de famille ne se couche pas avant 3 heures du matin. La vie des siens est un peu bouleversée. Sa cour, située à Gounghin, un quartier populaire de l’ouest de Ouagadougou, accueille chaque soir une représentation de To be or not to be, une pièce de théâtre du festival Les Récréâtrales. Ainsi, comme chez les Bazié, treize familles d’une même rue « ouvrent leurs intimités » en accueillant dans leurs cours des spectacles, explique le directeur du festival, Étienne Minougou. Plus de 150 artistes venus d’Afrique et d’Europe participent à ce rendez-vous. Le principe : organiser des résidences au sein des familles, et pratiquer un théâtre de proximité, dans « un espace qui appartient à la communauté et pas aux spécialistes », selon le directeur.

Dans la cour des Bazié, la pièce a été montée par Mahamadou Tindano, sur un texte de son ami Paul Zoungrana qui incarne également le rôle principal, celui de Jean-Pierre Guingané, « baobab » du théâtre burkinabè, mort en 2011. Dans son texte et sur la scène, transformée en ring, Paul Zoungrana fait revivre le maître. Hanté par ses héros qui estiment avoir été injustement traités, il doit boxer avec sa propre conscience. Une pièce drôle, mais aussi politique. Elle questionne les récents événements vécus par le pays.

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Les Bazié ont vu mûrir ce spectacle à l’ombre de leurs arbres. « Les artistes se sont installés à la maison il y a deux mois pour créer leur pièce », se souvient Bruno Bazié devant les gradins qui ont poussé dans sa cour. Depuis, « ils sont là tous les jours. Pour nous, ce sont des frères. Après leur première, on a partagé un petit verre et on a bavardé ». Une complicité qui a fleuri au fil des semaines. « Il a fallu se rencontrer, discuter », raconte Paul Zoungrana. La troupe a eu le souci de ne pas asphyxier ses hôtes. « On a conscience que nous répétons chez les gens et que nous bousculons leur intimité. Il a fallu trouver l’équilibre, mais la relation s’est bien passée. Les Bazié nous ont portés comme leurs enfants ». Au quotidien, les artistes ont eu un public assidu, à l’image de Rosine Bazié, l’une des deux jeunes jumelles de la famille, qui a « aimé leurs répétitions parce qu’ils sont drôles ». Comme elle, des enfants du quartier ont suivi les répétitions et connaissent les répliques par cœur.

Pour les habitants, le festival est une manne bienvenue. La billetterie revient aux familles, des femmes sont embauchées pour nettoyer la rue, des jeunes font du gardiennage, couturiers et soudeurs reçoivent des commandes, les commerçants profitent de l’affluence… « Il y a un aspect économique qu’il ne faut pas négliger », remarque Bruno Bazié. « Tout le monde y gagne, mais pas seulement de l’argent. C’est aussi une ouverture. J’ai pu rencontrer des gens qu’on ne voyait qu’à la télé ou qu’on entendait à la radio. On ne s’imaginait pas qu’on allait pouvoir les rencontrer ainsi. On a noué des relations ». Agathe Séré, responsable des femmes du quartier, ajoute : « Il faut savoir que le théâtre ne nous est pas familier. Mais, avec tout ça, on est devenues curieuses. Souvent, on laisse nos marmites à la maison et on va suivre les spectacles. On s’organise selon la disponibilité de chacune »

Tout le monde y gagne, mais pas seulement de l’argent

Pour les artistes, c’est une occasion rêvée de faire partager le théâtre, mais il faut être attentif à l’image que l’on renvoie. « Quand nous venons travailler, les gens nous entendent », explique Paul Zoungrana. « Si on est fainéants, c’est l’image que le quartier gardera des artistes. Notre comportement va aussi jouer sur l’appréciation que l’on fera de notre métier, sur le respect de notre parole et donc, en gros, sur notre légitimité ».

Quant au spectacle, il n’aurait pas été le même sans cette cour et ses habitants, estime le metteur en scène, Mahamadou Tindano. « Il y a des gens de la cour et d’ailleurs qui viennent regarder, s’assoient. Ça réagit et discute sur le jeu des comédiens. Donc, forcément, on va tenir compte de leur regard sur le travail. Ce n’est pas comme si nous étions dans un cadre fermé, dans un théâtre, entre comédiens ». D’ailleurs, la cour elle-même devient un élément du spectacle. Les projecteurs sont hissés dans les arbres. Les poules et les pintades picorent les criquets attirés par la lumière des projecteurs. Les lapins s’étendent sous les chaises et les comédiens jouent avec eux.

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Confortablement installé dans un hamac de la cour des Bazié en attendant de jouer, Amidou Bonsa, musicien, médite. Il voit dans ce spectacle un retour aux soirées de son enfance. « Quand j’étais tout gamin, le soir après avoir mangé, il n’y avait pas grand chose à faire : lire un peu ou aller écouter des contes. On écoutait ces contes au sein des familles. Quand je fais du théâtre ici, je me retrouve exactement comme quand j’étais enfant. Alors je m’y plais ».

>> Les Récréâtrales, à Ouagadougou du 29 octobre au 5 novembre.

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