Vidéo : les députés kényans en viennent aux mains lors du vote d’une loi antiterroriste
Le vote d’une loi sécuritaire très controversée jeudi par l’Assemblée nationale kényane s’est déroulé dans un chaos indescriptible. Les membres de l’opposition dénoncent un coup sévère porté aux libertés démocratiques.
Comme au Cameroun et dans tous les pays affectés par le terrorisme, il est souvent difficile de trouver un équilibre acceptable entre le renforcement de la législation sécuritaire et la préservation des droits et libertés des citoyens. Le vote d’une loi controversée, jeudi 18 décembre à Nairobi, a ainsi donné lieu à des scènes de bagarres entre députés et à multiples interruptions de séance.
Dès l’examen du texte à l’Assemblée nationale, dans la matinée, des échauffourées ont éclaté puis un pugilat a commencé entre députés avant que le vote soit une première fois suspendu. Un député d’opposition a ensuite arraché le texte des mains du rapporteur et plus tard un autre a aspergé d’eau la vice-présidente de l’Assemblée Joyce Laboso (bien Laboso). Visiblement dépassé par les événnements, le président de l’Assemblée, Justin Muturi, a semblé reprendre la main dans l’après-midi, permettant aux députés d’approuver la nomination du nomination du nouveau ministre de l’Intérieur, du général en retraite Joseph Nkaissery.
Mais lorsque le scrutin par acclamation a finalement repris vers 16 heures 30, un chaos indescriptible s’est emparé de l’Assemblée, dont la tribune a été littéralement assiégée par l’opposition et bombardée de livres et projectiles divers, que des huissiers tentaient de parer. Seule la majorité répondait "aye" (oui), sous les huées de l’opposition, adoptant la centaine d’articles et les nombreux amendements à un rythme effréné et réussissant à conclure le vote avant 18 heures 30.
Retransmission télévisée interrompue
La retransmission télévisée a été interrompue peu après 17H00 en plein chaos, alors que sur Twitter, des internautes s’interrogeaient sur la validité du vote dans de telles conditions. "Je ne suis pas satisfait de la façon dont le projet de loi a été adopté. Il y avait une meilleure manière (…) mais je suis content qu’il ait été adopté", a déclaré Johnson Sakaja, député de la majorité.
Le projet porte de 90 à 360 jours la durée de garde à vue des suspects "d’actes terroristes".
"La société civile et nous allons contester la loi devant la justice, car elle inconstitutionnelle dans son contenu et non conforme aux procédures dans la manière dont elle a été adoptée", a réagi Moses Wetangula, un des dirigeants de la principale coalition d’opposition.
Le projet porte en effet de 90 à 360 jours la durée de garde à vue des suspects "d’actes terroristes", allonge les peines de prison et facilite les écoutes téléphoniques. Les journalistes qui "gênent l’enquête ou des opérations liées à la lutte contre le terrorisme" (le pays vit depuis des années sous la menace des Shebabs somaliens) sont passibles de trois ans de prison, de même que ceux qui publient des images de "victimes d’attaques terroristes" sans l’accord de la police.
"Bado mapambano"
"Nous ne pouvons permettre à cette Chambre de bafouer la Constitution", avait lancé jeudi matin John Mbadi, député de l’opposition, avant que ses collègues entonnent à pleins poumons "Bado mapambano" ("la lutte continue" en swahili), un chant du combat pour la démocratisation des années 1990. Amnesty et Human Rights Watch ont dit craindre un "retour à l’Etat policier", du temps de l’autocrate Daniel arap Moi (1978-2002). Les défenseurs des droits de l’Homme dénoncent les abus et l’impunité des forces de sécurité – notamment accusées d’exécutions extrajudiciaires – dans la lutte antiterroriste.
"Il n’y a rien à craindre de cette loi, à moins que vous ne soyez impliqués dans des activités criminelles", avait assuré mercredi le président Uhuru Kenyatta, dont le gouvernement est sous le feu des critiques pour son incapacité à juguler la menace shebab.
>> Lire : #Tumechoka, quand les Kényans sont "fatigués" des attaques des Shebab
Mais mercredi soir, neuf ambassadeurs occidentaux (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Pays-Bas, Allemagne, Danemark, France, Suède, Canada) avaient, dans un rare communiqué commun, exprimé leurs inquiétudes, rappelant qu’il était "important" que "tout en renforçant la sécurité, (il) respecte les droits de l’homme et les obligations internationales".
(Avec AFP)
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