Quitter la CPI : pas d’argument valable, seulement le déshonneur
Le 12 octobre 2016, le Burundi a été le premier des 124 États parties à entamer une procédure parlementaire de retrait de la Cour pénale internationale (CPI). Le 19 octobre 2016, l’Afrique du Sud lui a emboîté le pas en étant le premier État à déposer auprès du Secrétaire Général des Nations unies son instrument de retrait de la CPI. Nous espérons qu’aucun autre État africains ne rejoindra ce mouvement rétrograde.
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Drissa Traoré
Drissa Traoré est un avocat ivoirien. Il est vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH).
Publié le 8 novembre 2016 Lecture : 6 minutes.
Les États africains ont grandement contribué à l’adoption du Statut de la CPI en 1998. Ils ont été déterminants pour l’entrée en vigueur et l’activation de cette instance permanente chargée de juger les auteurs des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide. 34 États africains ont ratifié le Statut de Rome, ce qui fait de l’Afrique la région la plus représentée au sein des États parties à la CPI.
L’Ouganda, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, la République centrafricaine par deux fois et le Mali ou, tout dernièrement, le Gabon ont demandé à la CPI d’enquêter sur les crimes internationaux commis sur leur territoire. La CPI a fait droit à ces invitations et a été ainsi saisie des situations de ces pays qui constituent la majorité des affaires devant la CPI en Afrique. Des milliers de victimes de conflits en Afrique sont ainsi représentées devant la CPI pour faire valoir leur droit à la justice et à la réparation. Un accès à la justice qui leur est dénié dans leur propre pays.
La majorité des peuples africains ne soutient pas l’immunité en Afrique
Nous nous réjouissons qu’un nombre significatif de dirigeants africains continue de soutenir la CPI. Nous demandons au petit nombre d’entre eux qui critique avec véhémence la CPI et incite les États parties à se retirer de son Statut de donner des raisons valables à leur positionnements. La majorité des peuples africains ne soutient pas l’immunité en Afrique.
Il est aisé d’écarter les arguments publiquement exprimés par les anti CPI.
Une cour érigée contre l’Afrique, vraiment ?
L’un des arguments avancés est celui d’une cour érigée contre l’Afrique. Neuf des dix situations sous enquête de la Cour concernent ce continent. Dans la majorité de ces situations, ce sont les États africains eux-mêmes qui ont demandé à la CPI d’intervenir. Dans tous les cas, des crimes graves ont été ou sont en train d’être commis dans ces pays en toute impunité.
Un autre argument porté par les opposants à la CPI en Afrique : la sauvegarde de la souveraineté des États. La ratification du Statut de la CPI est pourtant l’affirmation de celle-ci. Chaque État partie conserve sa prérogative première de poursuivre les crimes les plus graves commis par ses ressortissants ou sur son territoire. La CPI ne peut alors intervenir que si l’État démontre son absence de volonté ou de capacité de juger. Certains États parties ont parfaitement compris ce principe de complémentarité. La Guinée (État partie à la CPI) s’est engagée pour la première fois de son histoire dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves commis sur son territoire, en poursuivant les auteurs du massacre perpétré au stade de Conakry le 28 septembre 2009. L’Ouganda a établi une division sur les crimes internationaux au sein de la Haute Cour.
Un autre argument entendu de la part de certains dirigeants africains contre la CPI est celui de la nécessité de conférer l’immunité aux chefs d’État contre toute poursuite judiciaire. Il est apparu à la suite du mandat d’arrêt délivré par le bureau du Procureur de la CPI contre le président soudanais Omar el-Bechir pour crimes contre l’humanité et génocide au Darfour. Il a été repris avec vigueur par les autorités kényanes lorsque Uhuru Muigai Kenyatta, alors poursuivi pour crimes contre l’humanité, a été élu président du Kenya. L’argument consiste à considérer que les mandats d’arrêt empêchent les efforts diplomatiques avec les autorités des pays en conflit ou en crise pour parvenir à leur règlement.
Combattre l’impunité est le principe fondateur de la justice pénale internationale, depuis Nuremberg
Cet argument n’est pas tenable : l’idée même d’une justice pénale supra-nationale pour les crimes les plus graves se fonde sur le fait que ces crimes impliquent généralement la responsabilité des plus hautes autorités de l’État, ce qui explique aussi l’impunité dont ils bénéficient au niveau national. Combattre l’impunité est le principe fondateur de la justice pénale internationale, depuis Nuremberg. Enfin, les États parties peuvent ne pas inviter sur leur territoire des personnes poursuivies par la CPI s’ils ne veulent pas exécuter les mandats d’arrêt.
En effet, la Cour a ses propres fragilités. Mais celles-ci ne sauraient être utilisées pour consolider l’impunité en Afrique. Par exemple, nous souhaiterions que la Cour puisse agir sur d’autres situations où des crimes tout aussi graves ont été commis.
Si la Procureure de la CPI examine actuellement la possibilité d’ouvrir des enquêtes en Palestine, en Ukraine, en Colombie et en Afghanistan, il existe d’autres situations, comme celle en Syrie, qui devraient être référées à la CPI par le Conseil de sécurité, comme cela a été fait pour les situations au Soudan et en Libye. Il est aussi regrettable que des pays tels que les États-Unis, l’Inde, la Chine, Israël ou la Russie n’aient pas ratifié le Statut de Rome, même si la Cour peut exercer sa compétence sur les ressortissants de ces États dans le cas où ils commettraient des crimes graves sur le territoire d’un État partie.
L’absence de compétence véritablement universelle de la Cour est regrettable. Mais se retirer de la CPI pour cette raison serait paradoxal. Les États devraient plutôt convaincre les États non parties de ratifier le Statut de Rome et faire en sorte qu’aucun veto ne puisse être brandi par un membre du Conseil de sécurité pour s’opposer à la saisine de la CPI concernant des situations où sont commis des crimes internationaux et où pourraient être impliqués des ressortissants des grandes puissances.
Justice internationale pour les grands comme les petites États
Allons encore plus loin, dans le sens d’une nécessaire réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et du droit de veto qui a instauré un système à deux vitesses : l’impunité pour les puissants et leurs alliés, l’imposition nécessaire des règles universelles pour les plus petits. La réforme des Nations unies devrait permettre de garantir la même règle que l’on soit petit ou grand et la justice pour tous les peuples.
S’il existe des préoccupations légitimes sur la CPI, elles ne sauraient justifier un retrait de son Statut. Au contraire, ces critiques sont d’autant mieux portées qu’elles sont adressées par des États qui sont soumis à sa juridiction. De nombreux États africains continuent de faire ce choix, et ils en sont exemplaires.
L’Afrique du Sud a malheureusement rejoint un groupe de pays qui se fondent sur l’impunité et non sur la primauté du droit dans leur approche de la CPI. Des pays comme le Burundi, la Gambie et le Kenya, dans lesquels les dirigeants ont commis (ou commettent) des crimes graves en toute impunité. Ainsi le retrait du Burundi du Statut de la CPI relève quasiment d’un aveu de culpabilité de son président Nkurunziza, l’ONU ayant documenté des crimes graves commis par des agents de l’État contre des civils depuis avril 2015 et craignant désormais, ouvertement, un génocide.
Les populations africaines souhaitent être protégées contre les crimes et particulièrement les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre. Les dirigeants doivent travailler dans le sens de la protection de leur population. La CPI apparaît aux yeux de nombreuses victimes comme un instrument important de lutte contre la répétition de graves crimes et des populations dans leur ensemble comme un rempart contre les atrocités.
Nos dirigeants doivent écouter la voix de leur peuple, rester à la CPI ou ratifier le Statut de Rome pour ceux qui ne l’ont pas encore fait.
Drissa Traore (Côte d’Ivoire), Sheila Nabachwa (Ouganda), Arnold Tsunga (Zimbabwe), vice présidents de la FIDH.
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