Burundi : ces paysans de Cibitoke fauchés comme les blés

En juillet dernier, Bujumbura a interdit l’exportation de produits vivriers vers les pays frontaliers. Une mesure censée lutter contre la spéculation due à la sécheresse mais qui frappe de plein fouet la province de Cibitoke, habituée à écouler sa production vers le Rwanda voisin, en froid avec le Burundi – ce qui n’arrange rien. Reportage.

Des paysans travaillant dans un champ de pommes de terre, près de Bujumbura, le 14 décembre 2015. © Melanie Gouby/AP/SIPA

Des paysans travaillant dans un champ de pommes de terre, près de Bujumbura, le 14 décembre 2015. © Melanie Gouby/AP/SIPA

Armel Bukeyeneza

Publié le 9 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Air sec, soleil de plomb, des paysans qui discutent affaires dans les rues, le bruit assourdissant des camions remplis de vivres à destination des autres provinces du pays, des guichets de banques qui ornent la route, des bars qui grouillent… Rien que de plus normal à Rugombo, le plus grand centre commercial de la province de Cibitoke, à l’ouest du Burundi. Du moins en apparence.

Car selon de nombreuses sources, c’est en réalité toute une machine économique qui est sur le point de se gripper après que le conseil des ministres a pris la décision, le 29 juillet, d’interdire l’exportation de produits vivriers vers les pays frontaliers « pour des raisons météorologiques d’une sécheresse prolongée », avait justifié le porte-parole du gouvernement, Philippe Nzobonariba.

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De fait, les signes du malaise sont nombreux quand on y regarde de près, notamment à Rugombo : au marché, des femmes voilées aux regards inquiets, assises en tailleur ou debout devant leurs paniers remplis de tomates dont certaines commencent à pourrir, attendent désespérément des clients qui ne viennent qu’au compte-goutte. Un panier qui coûtait 10 000 Francs burundais (environ 6 euros) il y a quatre mois, s’achète aujourd’hui à 3000 Fbu. La demande correspondant à l’écoulement des récoltes s’est tarie.

Une production en partie dirigée vers le Rwanda

« Nous produisions en grande partie pour le Rwanda. Depuis bientôt quatre mois, les frontières sont fermées à la sortie de tout produit vivrier », explique Jeannette Musavyimana, vendeuse, qui avait investi près de 2 millions de Fbu (soit un peu plus de 1 000 euros) dans l’agriculture des tomates, et qui n’a même pas pu récupérer le quart de son capital. « Des quantités de produits n’ont jamais eu de clients et ont été jetées à la poubelle, d’autres pourrissent dans les champs », poursuit-elle, gorge nouée par la colère, craignant un avenir encore plus tragique.

Les retombées des relations exécrables entre Bujumbura et Kigali ne se limitent pas à Rugombo

« Nos capitaux sont issus soit de la caisse de solidarité entre vendeuses soit de petits emprunts que nous faisons auprès des microfinances qui vont bientôt se retourner contre nous », s’inquiète-t-elle. Tout près du marché, au quartier swahili, collées-serrées, des maisonnettes en chaume qui faisaient office de salles de cinéma sont toutes fermées. « C’est sur ordre des autorités. Elles disent que c’est pour lutter contre la délinquance mais c’est faux. Ils ont commencé par interdire les films en kinyarwanda, après ils ont tout fermé, lâche un jeune dépité qui était responsable de l’une des salles. « Aujourd’hui je ne fais plus rien. Je me lève, me lave puis viens ici pour m’asseoir et compter les véhicules qui passent », poursuit-il, montrant son avant-bras qui commence à maigrir.

Une vendeuse de produits vivriers près de Bujumbura, le 14 décembre 2015. © Melanie Gouby/AP/SIPA

Une vendeuse de produits vivriers près de Bujumbura, le 14 décembre 2015. © Melanie Gouby/AP/SIPA

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Les retombées des relations exécrables entre Bujumbura et Kigali ne se limitent pas à Rugombo. À huit kilomètres, c’est la frontière avec le Rwanda. À cent mètres du poste frontalier, Niyobungiro Evangeline, 19 ans, assise devant son domicile avec sa belle-mère, fait téter son bébé de six mois. L’angoisse et le désespoir se lisent sur leurs visages. La jeune maman a perdu son mari, Jérémie Nyabenda, tué par des militaires rwandais durant la nuit du 30 août à Kibangira, juste après avoir traversé la frontière.

Abattu pour des aubergines

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« Il était avec Fidèle Niyonkuru, un voisin. Ils transportaient des aubergines pour un commerçant de la place », témoigne-t-elle, épinglant les autorités qui, selon elle, n’ont pas tenu leur parole. « Le gouverneur de Cibitoke avait promis de nous rendre visite au moins le jour de la levée de deuil. Ni lui, ni l’administrateur, ni personne n’est venu jusqu’à présent ».

« Les relations sont très bonnes entre les autorités et les familles des défunts. C’est nous qui avons même aidé ces dernières pour que les funérailles se passent bien », affirme de son côté Joseph Iteriteka, gouverneur de la province Cibitoke. Quant à la fermeture des salles de cinéma à Rugombo, l’administrateur, Béatrice Kaderi, dément catégoriquement toute ingérence. « Les autorités n’ont jamais interdit la diffusion des films en kinyarwanda. C’est un mensonge. Cette mesure est liée à l’éducation des enfants. Certains des films n’étaient pas faits pour les mineurs », explique-t-elle non sans rebondir sur la question des vendeuses de tomates qui réclament l’ouverture des frontières pour écouler leurs marchandises.

Vers une pénurie de certains produits vivriers ?

« C’est de l’égoïsme. C’est plutôt bien de voir que les prix ont chuté. C’est au profit des consommateurs locaux », assène-t-elle sans faire grand cas des vendeuses qui se disent au bord de la faillite. « C’est juste parce qu’elles ne sont encore habituées à vendre à un prix raisonnable. Avec le temps, tout finira par s’arranger », tanche-t-elle. Mais ce n’est pas tout à fait l’avis de Noël Nkurunziza, président de l’Association burundaise des consommateurs (Abuco). « Au vu des dégâts que la mesure [d’interdiction de vente des produits vivriers à l’étranger, NDLR] cause à ces vendeuses, il est clair qu’elle n’a pas été bien pensée. Elle a été prise sans aucune alternative. Le gouvernement pouvait par exemple investir lui-même dans la transformation. Mais il est presque trop tard. Le mal est déjà fait », regrette l’activiste.

Pour lui, les grandes victimes de cette décision de fermer les frontières sont surtout les Burundais, pas les Rwandais. « Le Rwanda a la possibilité de s’approvisionner dans d’autres pays limitrophes comme l’Ouganda », dit-il. Et d’alerter : « Aujourd’hui, des paysans qui avaient investi dans l’agriculture tombent en faillite. Le grand risque et qu’ils abandonnent tout pour les saisons prochaines. Le Burundi devra alors se préparer à une pénurie de certains produits vivriers comme les tomates ».

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