Conférences des bailleurs : des perfusions à fonds perdus pour la Centrafrique
Alors que Bruxelles s’apprête à recevoir jeudi 17 novembre une nouvelle conférence des bailleurs de fonds sur la République centrafricaine, de profondes incertitudes demeurent quant aux garanties offertes par le président Faustin-Archange Touadéra pour restaurer la paix.
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Brad Brooks-Rubin
Brad Brooks-Rubin est directeur des politiques à l’Enough Project. Par le passé, il a servi au Département d’État et au Trésor américains, respectivement sur des questions de commerce de diamants issus de conflits et de sanctions économiques.
Publié le 14 novembre 2016 Lecture : 3 minutes.
Les bandes armées continuent de semer chaos et désolation dans un pays meurtri par une longue tradition de gestion prédatrice du patrimoine national.
Pour sortir de l’impasse, la communauté internationale se doit d’aller aux causes des violences et prioriser la lutte contre l’impunité et la lutte contre les flux de financement illicites.
Bilan négatif
Si la conférence de Bruxelles paraît être l’espoir de la dernière chance, il n’en est rien. Il s’agit en fait de la cinquième conférence de ce genre organisée ces dix dernières années. À chaque fois, un catalogue de projets a été présenté par les autorités centrafricaines, qui ont pu repartir avec plusieurs dizaines de millions d’euros en poche et des projets à financer.
Ces perfusions n’ont pas résolu les crises.
Aujourd’hui le bilan est pourtant alarmant. La Centrafrique figure parmi les pays les plus pauvres au monde. Les crises humanitaires sont devenues la norme. À Bangui, les élites se disputent le pouvoir et peuplent un État de façade. Depuis 2013, des bandes armées criminelles continuent de dicter leurs lois et menacent d’opérer une scission du pays. Le conflit intercommunautaire fait peser un risque réel de guerre civile. En 2016, l’UNHCR enregistre toujours plus de 453 271 réfugiés centrafricains et 430 901 déplacés internes.
Non sans mal, on conclura que ces perfusions n’ont pas résolu les crises. Et la situation ne semble guère changer si l’on se fie aux déclarations officieuses d’un représentant de l’ONU évoquant les intentions du régime actuel : « Ils sont obsédés par la conférence des donateurs et par l’argent qu’ils pensent obtenir. Ils ne veulent surtout rien réformer, juste voir les Forces armées centrafricaines équipées et éventuellement entraînées. »
« Kleptocratie violente »
Souvent négligé par les politiques de gestion des crises, le système de kleptocratie violente joue un rôle essentiel dans les instabilités politico-militaires. En Centrafrique, certains défis ont systématiquement mis en échec les mécanismes traditionnels de résolution des conflits, et notamment :
- Une confiscation des richesses nationales par la classe dirigeante
Ce système, dominé par un groupuscule d’individus, est restreint à la famille et au clan ethnique du Président Faustin-Archange Touadéra. Au menu : gestion patrimoniale et familiale des biens et finances publics, clientélisme, corruption, imposition du parti unique, oppression et répression des opposants, manipulation de la jeunesse, recrutement et armement de milices, impunité et absence d’investissements sociaux… Ce cocktail explosif a constitué l’ossature des régimes successifs et favorisé l’émergence de bandes armées tout aussi prédatrices que les régimes eux-mêmes.
- Une violence armée érigée en fonds de commerce
Pour les groupes armés, la violence ou la menace de faire appel à la violence est un moyen de pression exercé sur le régime en vue d’intégrer le système, souvent en réclamant des postes ministériels ou militaires. Au-delà du rebelle traditionnel, ce sont surtout des mercenaires aguerris au métier des armes qui commettent des actes de violence ou attisent la haine en échange de promesses d’avantages et de paiements. Kleptocrates, investisseurs privés ou encore puissances étrangères n’hésitent pas non plus à recruter ces mercenaires dans le seul but de créer les conditions favorables à la négociation ou la sécurisation d’intérêts particuliers.
- Une économie de guerre, moteur de la perpétuation des crises
Dans ce climat délétère, l’économie de guerre, dominée par les trafics en tous genres, enrichit des réseaux mafieux tout en asservissant l’écrasante majorité des Centrafricains. Les chefs de guerre accumulent des millions de dollars à titre privé. Une aubaine pour ces individus qui n’ont pas l’intention de perdre leurs privilèges, encore moins de négocier un désarmement. À Bangui, les kleptocrates spéculent, en partenariat avec des investisseurs étrangers, autour de l’attribution de permis et de contrats miniers ou pétroliers.
Rôle de la communauté internationale
Devant un tel désarroi, les Centrafricains dénoncent une passivité incompréhensible des Casques bleus face aux violences et une complicité avec le système de kleptocratie.
Pour sortir de cette impasse, il est urgent que la communauté internationale, réunie à Bruxelles, lance un signal fort en priorisant deux stratégies majeures : le lancement effectif des mécanismes judiciaires pour mettre fin au climat d’impunité et l’application d’instruments de lutte contre les flux de financement illicites, incluant des sanctions financières envers ceux qui alimentent violence et corruption.
Ensemble, ces instruments permettront de faire des perfusions d’hier les investissements de demain.
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