Start-up africaine de la semaine : des toilettes aux champs du Kenya, le cercle vertueux de Sanergy

La société kényane Sanergy commercialise un engrais issu… d’excréments. Un cercle vertueux qui crée au passage des emplois dans les bidonvilles de Nairobi, où l’absence de sanitaires impacte la mortalité et l’activité économique.

L’une des toilettes installées. © Sanenergy

L’une des toilettes installées. © Sanenergy

Publié le 10 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

À regarder ce banal sac d’engrais bio, orné d’une main verte recueillant une jeune plante, on serait loin d’imaginer d’où il vient. Le produit FarmStar, commercialisé au Kenya depuis 2015 avec la promesse d’augmenter les rendements des agriculteurs de 30% par rapport aux fertilisants classiques, provient de la transformation d’excréments humains.

L’idée de recycler cette matière universelle n’est pas celle d’une poignée d’illuminés : aux États-Unis, où une part importante de ces déchets sont transformés en compost depuis des années. Mais la société kényane Sanergy, qui produit FarmStar, a ajouté à cette finalité, écologique et commerciale, une dimension sanitaire et sociale spécifiquement pensée pour les bidonvilles de la capitale kényane, où vivent 8 millions de personnes.

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Une aventure née du constat que l’absence d’installations sanitaires dans ces quartiers pauvres provoque des milliers de morts prématurées par an et un manque à gagner pour l’économie de 270 millions de dollars, selon l’entreprise.

Des toilettes montés en kit à partir de panneaux de béton

À Mukuru, comme dans les autres bidonvilles de Nairobi (tel Kibera, devenu le plus grand d’Afrique), des trous creusés dans le sol tiennent lieu de sanitaires, une pratique particulièrement dangereuse en raison de la proximité de la nappe phréatique, peu profonde, qui alimente la capitale.

C’est dans ce quartier immense que Sanergy a lancé il y a cinq ans ses toilettes FreshLife, montés à partir de panneaux de béton et qui permettent de récupérer facilement les déchets. Le modèle vise à générer une activité commerciale : des habitants du quartier, gérants d’une échoppe ou propriétaires d’une maison dont ils louent les chambres, achètent à crédit cette installation dont ils font payer l’utilisation (entre 3 et 5 shillings, soit 2,5 à 4,5 centimes d’euros).

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Chaque mois, le “franchisé” rembourse le prêt, souvent à taux zéro, qu’il a contracté via Sanergy pour payer l’installation (entre 300 et 400 dollars pour l’achat de la structure, puis un abonnement une fois le capital remboursé).

Le retour sur investissement intervient en moins d’un an.

“Le retour sur investissement intervient en moins d’un an mais. Plus généralement, les toilettes rapportent, une fois les frais payés, 1 000 dollars par an aux franchisés sur la base de 55 utilisations par jour, mais, sur le terrain, la fréquentation moyenne dépasse plutôt les 70 utilisations”, explique Louise Couder, du département business development, en recevant Jeune Afrique dans les anciens entrepôts de briques rouge où Sanergy a établi son siège, au cœur du Mukuru, zone industrielle historique de la ville où sont venus vivre les travailleurs et leurs familles.

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En ce vendredi, les équipes, qui totalisent 250 personnes, dont 98% de Kényans habitant majoritairement le bidonville, font le point sur les activités de la semaine. Parmi eux, des installateurs, des commerciaux — qui sécurisent notamment les emplacements avec les chefs de communauté —, ou encore des responsables de la collecte, effectuée quotidiennement dans les 800 toilettes installées.

Les excréments sont transformés en compost en quatre mois

Direction ensuite l’usine de Sanergy, située à Kinani, à l’extérieur de la ville. C’est là que démarre le deuxième volet de l’aventure Sanergy. Mélangés à de la chaux et à des déchets végétaux (récupérés dans les plantations d’ananas et de roses, dont le Kenya s’est fait une spécialité), les excréments sont transformés en compost en quatre mois.

“À l’issue de ce processus on récupère un engrais bio, totalement vierge d’agents pathogènes”, rassure Louise Couder. Et pour preuve, souligne-t-elle, l’engrais FarmStar marche très bien auprès des agriculteurs kényans, qui font face à un grave appauvrissement des sols contre lequel les fertilisants organiques, contrairement à leur version chimique, permettent de lutter.

Depuis quelques mois, Sanergy a lancé un deuxième produit, utilisant lui aussi une partie de ces déchets. “Nous élevons les œufs d’une mouche locale, la Black Soldier Fly, qui se nourrit de déchets et les transforment en protéines, poursuit-elle. Lorsqu’elles atteignent le stade de larves, elles sont séchées et vendues aux éleveurs de poulets et de porcs. C’est plus logique que les protéines dominant actuellement le marché ici : les Omenas, des petits poissons du Lac Victoria, par ailleurs victimes de la surpêche.”

De grosses entreprises agricoles intéressées

Paradoxalement, la société manque aujourd’hui de matières premières. De grosses entreprises agricoles seraient intéressées par les produits mais les volumes actuels de Sanergy, quelque 300 tonnes pour l’engrais et quatre pour l’alimentation animale cette année, ne sont pas suffisants.

Densifier le réseau de toilettes à Mukuru et à Mathare, l’autre bidonville où travaille Sanergy, est donc une priorité. Une autre option consiste à récupérer plus de déchets végétaux, auprès des exploitations agricoles mais aussi dans les cuisines des quartiers.

Ce développement permettrait à Sanergy, qui dispose de l’aide de partenaires comme le gouvernement finlandais, l’Agence française de développement (AFD) et la Fondation Vitol, d’atteindre une rentabilité qui n’est pas encore au rendez-vous (la société n’a pas souhaité transmettre ses résultats financiers).

Mais pour développer les profits de cette entreprise sociale, une autre piste se profile aussi, en accord avec sa philosophie. Une unité de biogaz (aujourd’hui au stade pilote) est prévue pour mi-2017.

Au delà des importantes économies d’électricité qu’elle va générer, l’installation peut permettre, à terme, de vendre cette énergie verte aux entreprises qui s’installeront comme elle à Kinani, promise à devenir la nouvelle zone industrielle de la capitale kényane.

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