Tunisie – Mohamed Challouf : « Les JCC doivent redevenir la destination de ceux qui aiment le cinéma africain »

Mohamed Challouf, directeur artistique du cinquantenaire des Journées cinématographiques de Carthage ( JCC), revient sur une 27e édition chaotique.

La remise des prix des JCC à Carthage lors de la 26e édition, le 11 novembre 2016. © JCC

La remise des prix des JCC à Carthage lors de la 26e édition, le 11 novembre 2016. © JCC

Fawzia Zouria

Publié le 10 novembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Figure militante du cinéma arabe et africain, Mohamed Challouf s’est vu confier l’organisation des événements liés au cinquantenaire des Journées cinématographiques de Carthage ( JCC) qui ont eu lieu à Tunis du 28 octobre au 5 novembre. Le réalisateur et producteur tunisien, initiateur de nombreuses manifestations cinématographiques – dont le Giornate del Cinema Africano di Perugia, dédié au film africain en Italie – nous livre ses impressions sur la 27e édition du plus vieux festival du continent.

Jeune Afrique : Le rideau vient de tomber sur la 27e session des JCC, qu’en avez-vous pensé ?

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Mohamed Challouf : Nous avions une opportunité magnifique, qui était celle du 50e anniversaire, mais nous l’avons gâchée. La logistique n’a pas suivi et l’accueil a été catastrophique. Des invités ont été oubliés à l’aéroport, comme le réalisateur Khaled Seddiq, un pionnier du cinéma koweïtien, qui s’était déplacé à ses frais pour ne pas grever le budget du festival et qui a dû repartir par le même vol. J’ai d’ailleurs porté symboliquement son badge pendant toutes les JCC. Le directeur général du centre du cinéma algérien, arrivé avec quatre copies restaurées des plus grands films de son pays, s’est retrouvé sans chambre d’hôtel. Ses compatriotes, des acteurs surtout, se sont sentis humiliés par le peu de cas fait de leur présence, et notre ministre de la Culture a dû leur présenter ses excuses. Ce sont-là des incidents mortels pour les JCC.

Ce sont-là des incidents mortels pour les JCC

Pourquoi avoir accepté de vous charger du côté commémoratif de cette session ?

Parce qu’il s’agit de la mémoire cinématographique du continent et que celle-ci représente l’un des volets les plus importants des JCC. L’histoire, les pionniers, les grands moments du film africain devraient être le pain quotidien de toutes les sessions et non seulement un programme de dates anniversaires. Il importe de revenir chaque année aux fondamentaux, c’est-à-dire aux objectifs premiers de ceux qui ont créé cette manifestation et non de s’égarer dans l’imitation de festivals à paillettes et à tapis rouge. Il faut renouer avec les chefs d’œuvres du passé, redécouvrir les Taoufik Salah et les Souleymane Sissé. C’est avec cette mémoire que nous construirons le cinéma de demain.

Quelle place a encore le film subsaharien au sein des JCC ?

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Il existe toujours une forme d’ignorance, voire de racisme vis-à-vis des cinéastes noirs, là où il faut les traiter sur le même pied d’égalité que les autres cinéastes. Il se trouve que le public lui-même est influencé par l’attitude cavalière et le peu de cas fait des artistes subsahariens. Quand vous avez une conseillère spéciale pour inviter les stars égyptiennes et personne pour les réalisateurs et les acteurs d’Afrique, c’est un signal qui influence le reste de la chaîne, y compris le spectateur lambda. Résultat : des salles pleines pour les projections de films arabes et peu de monde pour les films africains.

Que faut-il faire pour assurer la survie et la pérennité des JCC ?

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Si le festival veut perdurer, il faut qu’il soit confié à des professionnels de l’organisation et non à des cinéastes ou des producteurs qui ont pris l’habitude de concocter des programmes à leur convenance et des listes d’invités où sont écartés ceux qu’ils estiment être leurs rivaux ou leurs ennemis. Il faut réaffirmer la vocation première du festival qui est de s’occuper du cinéma africain et arabe et d’en assurer la promotion. Les JCC doivent redevenir la destination de ceux qui aiment le cinéma du continent et le mettent en valeur. Il faut une réelle volonté de couvrir l’événement à l’internationale et ne pas se contenter d’inviter des médias amis ou habitués du festival. Ce manque d’une stratégie de communication fait perdre de l’argent et de l’énergie et n’a aucune retombée positive. Par exemple, cette année on a choisi d’organiser une conférence de presse à l’Institut du monde arabe à Paris pour lancer les JCC, mais la salle était vide.

Regrettez-vous d’avoir pris part à l’organisation de cette édition ?

Non. Je dis que malgré cette pagaille, on a offert à Tunis un retour des grands films qui ont marqué l’histoire du cinéma du continent. On a rendu possible de belles rencontres entre le public tunisien et de grands auteurs classiques. On a offert aux jeunes l’opportunité de revoir des films qui ont été restaurés pour l’occasion. J’espère que cette édition fera prendre conscience aux responsables du secteur de la nécessité de créer une cinémathèque afin de conserver le patrimoine de nos images, de constituer un fonds de films, de donner à voir des rétrospectives et un cinéma d’auteur.

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