Cinéma : « Run », de Treichville à Cannes
À l’affiche de Run, signé Philippe Lacôte, Isaach de Bankolé a profité du tournage pour retourner à Abidjan, après une longue absence.
Il y avait seize ans qu’Isaach de Bankolé n’avait plus mis les pieds sinon sur le continent – il a participé à des expériences théâtrales au Kenya et au Ghana -, du moins sur sa terre natale. Pour l’attirer en Côte d’Ivoire, il a pourtant suffi d’une proposition de son compatriote réalisateur, Philippe Lacôte, qui avait très envie de faire jouer cet "acteur caméléon" dans son premier long-métrage. Run, comme l’indique son titre, raconte la fuite éperdue d’un jeune homme qui vient de tuer le Premier ministre et qui, tout en errant à travers Abidjan, revit les épisodes les plus marquants de son passé.
L’enfance pendant laquelle il voulait devenir le meilleur disciple d’un "faiseur de pluie", sa collaboration avec "Gladys la mangeuse", capable d’ingurgiter des quantités incroyables de nourriture pour impressionner le public des marchés, et surtout sa vie de Jeune patriote pendant le conflit politico-militaire en Côte d’Ivoire. Une façon, pour le réalisateur, de raconter une longue période d’Histoire dans une ambiance de "film noir".
Si Run sort aujourd’hui sur les écrans en France, il a déjà fait l’événement, malgré un accueil mitigé, au dernier Festival de Cannes – un honneur qui n’était plus arrivé à un film ivoirien depuis Visages de femmes, de Désiré Écaré, en 1985.
Le pays a décidé d’aller de l’avant
C’est donc au bord de l’eau, non loin d’immenses yachts, que nous avons rencontré Isaach de Bankolé, venu accompagner le lancement du film, bien qu’il ait accepté de n’y jouer qu’un important second rôle. Ses trois précédentes visites sur la Croisette avaient été justifiées – excusez du peu ! – par ses participations à Chocolat, de Claire Denis, à Manderlay, de Lars Von Trier et à Ghost Dog, de Jim Jarmusch.
Mais ce jour-là, il venait de découvrir Run et se déclarait "très fier" de voir comment Philippe Lacôte avait "habillé" ce qui avait été tourné des mois auparavant. Et il évoquait volontiers son retour en Côte d’Ivoire à l’occasion du tournage, d’autant que le sujet du film entrait en résonance avec son vécu et celui du pays. "Pendant les événements, se souvenait-il, j’étais dix ou quinze fois par jour au téléphone avec des membres de ma famille. Là-bas, c’était la peur. Mais si je n’ai pas aimé être un simple observateur éloigné, je ne voulais pas pour autant y retourner pour y retourner. Des vacances, non ! Je voulais avoir quelque chose à y faire, et le film m’en a fourni l’opportunité."
Pour revoir des amis, pour retrouver les lieux de son enfance à Abidjan et en particulier ce quartier de Treichville où il a grandi "entouré de quatre cinémas". "Mon préféré, c’était le Rio, hélas aujourd’hui disparu…" Heureusement, "le pays, aussi bien les politiques que la population, a décidé de dépasser les événements et d’aller de l’avant. Personne, après avoir traversé cette expérience de l’ivoirité qui a conduit à l’impasse, ne peut vouloir y revenir".
Un retour au pays qui ne sera pas sans lendemain. Depuis quatorze ans, Isaach de Bankolé écrit un film qui se déroule en Côte d’Ivoire et aux États-Unis, où il réside depuis la fin des années 1990, à Harlem. Son titre : One Way Ticket. Une formule qui ne renvoie pas à son propre exil : "Demain, je serai peut-être au Japon ou en Chine." Ou à Paris ? Pas sûr. "Il n’y a pas tant de rôles intéressants pour un Noir, aujourd’hui, dans le cinéma français." Et sans doute n’a-t-il pas oublié ses galères sur les rives de la Seine : "Si je me suis fait appeler "de Bankolé" au lieu de Bankolé tout court, c’est parce que j’avais constaté que pour trouver un appartement à Paris, c’était nettement plus facile avec une particule."
Run, de Philippe Lacôte, (sortie à Paris le 17 décembre)
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