Photographie : Joan Bardeletti et la petite prospérité des classes moyennes africaines
Qui fait partie des classes moyennes ? Accompagné de chercheurs en sciences sociales, le photographe Joan Bardeletti montre les réalités quotidiennes d’une catégorie trop souvent fourre-tout.
Lorsqu’il a lancé son projet "Classes moyennes en Afrique" en 2008, le photographe Joan Bardeletti ne pouvait imaginer à quel point l’expression serait à la mode, quelques années plus tard – reprise en choeur par les médias, les institutions et le monde de l’entreprise. De là à savoir à quoi correspond l’expression, bien commode pour recouvrir une réalité complexe, il y a un pas qu’il n’est pas aisé de franchir. Six ans plus tard, l’exposition proposée par le Musée d’Aquitaine de Bordeaux (et dont Jeune Afrique est partenaire) jusqu’au 22 février 2015, "Les classes moyennes en Afrique. Sciences sociales et photographie", tombe à point nommé pour revenir sur la question.
"Nous avons surtout voulu déconstruire la notion de "classe moyenne", qui regroupe par facilité des situations bien différentes", explique Élodie Escusa, doctorante à Sciences-Po Bordeaux, spécialisée dans "les pratiques et les trajectoires sociales de la petite classe moyenne noire de Johannesburg". Katia Kukawka, conservatrice au Musée d’Aquitaine, insiste de même sur la nécessité d’un discours qui ne soit pas simplificateur : "Nous voulions revenir sur cette catégorie trop propre, trop lisse, construite par les médias et par des acteurs qui ont des intérêts économiques, mais aussi montrer des images que le public n’attend pas sur l’Afrique, trop souvent figée dans un temps sans histoire."
Photographies, citations individuelles et statistiques sont rapprochés
Toute l’originalité du travail de Joan Bardeletti (cf. Petite prospérité, édité par Images en manoeuvre en 2011) repose d’ailleurs sur la complémentarité qu’il a su instaurer entre son travail et la recherche en sciences sociales dans les pays qu’il a couverts (Afrique du Sud, Mozambique, Kenya, Cameroun, Maroc, Côte d’Ivoire…) avec l’idée, comme il le disait en 2008, de "façonner une autre image de l’Afrique".
Dès le début de l’exposition sont rapprochées photographies, citations individuelles et statistiques générales.
Ainsi que l’écrit Dominique Darbon, professeur au laboratoire Les Afriques dans le monde, de Sciences-Po Bordeaux, et ancien rédacteur en chef de la revue Politique africaine, "seule l’association étroite d’un projet artistique et d’un projet scientifique dans l’ensemble du processus de captation, de représentation et d’interprétation du réel permet d’en saisir tous les aspects, d’associer l’imagination, la raison, l’intuition et les méthodes de validation".
Dès le début de l’exposition sont ainsi rapprochées photographies, citations individuelles et statistiques générales. À ces dernières, qui nivellent et aseptisent – que peut signifier le chiffre de 350 millions d’Africains souvent avancé pour qualifier la classe moyenne de 54 pays aussi divers que différents ? -, répondent des moments saisis sur le vif dans des lieux bien identifiés et selon des points de vue personnels. Classe moyenne ? Écoutons plutôt ce qu’en disent les intéressés : "La classe moyenne, c’est en fonction des saisons. Un jour tu as de l’argent et là, tu es classe moyenne" ; "Je m’en sors, c’est tout" ; "Je suis là, au milieu" ; "J’ai un bon revenu, mais pas d’extras". Pour Bardeletti, "il ne faut pas avoir un enthousiasme délirant par rapport à cette population. La réalité est dans l’entre-deux, mais on parle plutôt de la "petite prospérité" de ceux qui sont tout juste sortis de la pauvreté".
>> Lire aussi : portrait d’une famille de classe moyenne "type" en Afrique subsaharienne
Parcourir l’exposition, c’est ainsi faire connaissance avec le quotidien d’Africains "ni riches ni pauvres", avec leurs habitudes, leurs espoirs, leurs styles de vie, les endroits où ils habitent ou encore les boulots divers qu’ils exercent, souvent simultanément. L’artiste et les commissaires s’amusent même à brouiller les pistes, notamment avec cette photo prise en Afrique du Sud, où deux jeunes femmes se font servir du vin, après avoir dégusté des huîtres. "Qui appartient à la classe moyenne sur cette image ?" demande, amusé, Bardeletti. En fait, tout le monde : le serveur, qui a un petit boulot fixe, mais aussi les jeunes femmes, qui s’offrent, mais une fois par mois seulement, un petit extra dans ce restau chic.
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