Jean-Joseph Rabearivelo : faire sienne la langue d’autrui
Grand poète malgache francophone, Jean-Joseph Rabearivelo (1903-1937) a donné sa vie pour faire reconnaître sa culture.
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Hanitr’Ony
Petite-fille du célèbre poète malgache Dox, Hanitra Salomon Andriamasinony, Hanitr’Ony de son nom d’artiste, est écrivaine et musicienne. Elle vit entre Tananarive et Paris.
Publié le 24 novembre 2016 Lecture : 3 minutes.
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Au même titre que l’écrivain et homme d’État sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001), l’un des principaux fondateurs de la francophonie moderne. Tous deux francophiles et talentueux, ils ne voulaient pas choisir entre leur langue maternelle et celle de la France. Ils embrassaient une double culture.
Alors que Senghor s’émancipait avec ses pairs à Paris et créait, en 1934, le mouvement de la négritude afin de lutter contre l’oligarchie française et les abus des colonisateurs, Rabearivelo, privé de la citoyenneté française, formait à Antananarivo, en 1932, avec un groupe d’intellectuels, Mitady ny very (« aller à la recherche de ce qui est perdu », en malagasy).
Ce fut un tel succès que d’autres poètes ou dramaturges comme Dox, Randja Zanamihoatra et Charles Ratsaraoelina adhérèrent rapidement à ce mouvement littéraire, qui donna naissance à une nouvelle forme poétique, chantant les textes traditionnels sous la métrique de la versification française.
Pourtant, malgré son amour de la France et du français, Jean-Joseph Rabearivelo n’obtint jamais de poste de cadre administratif en métropole, et son nom ne figura pas dans la liste des intellectuels de la délégation pour l’Exposition universelle de 1937, à Paris. Déçu, amer, Rabearivelo avait réagi la même année dans son journal intime : « Ah ! Vivre avilit vraiment, comme disait H. de Régnier. Et peut-être aussi faut-il qu’on meure pour qu’on vous croie sincère. » Il mit fin à ses jours quelques semaines plus tard. Sans que la France l’ait reconnu de son vivant.
La fin tragique de Jean-Joseph Rabearivelo est un paradoxe, au vu de la reconnaissance unanime et actuelle de son apport à la francophonie. Or, comme Senghor, ce sont souvent les Africains, ex-colonisés, qui avaient cette passion du français. Et ce sont d’ailleurs des Africains qui lancèrent l’idée même de francophonie, dès les indépendances.
Sauvegarder la langue française, qui est en déclin depuis quelques décennies, passe aussi par le soutien aux langues locales
D’autres grands poètes malgaches, qui, par principe, écrivaient d’abord dans leur langue maternelle, ont fait le voyage en sens inverse. C’est le cas de Dox (1913-1978), mon grand-père, qui commença par traduire en malgache des œuvres classiques de Racine (Andromaque) ou de Corneille (Le Cid, Polyeucte). Cela ne l’empêcha pas de rédiger un recueil de poèmes dans un français exemplaire : Chants capricorniens. Ce recueil fut publié plusieurs années après sa mort – le 20 mars 1995 – par la Mission de coopération française et le Centre culturel Albert-Camus à l’occasion de la journée de la Francophonie à Antananarivo [il a été réédité en mai aux éditions Sépia].
Son œuvre est venue enrichir la langue française comme passerelle des cultures. Car l’espace francophone véhicule d’abord des valeurs communes… « Libres ensemble » est l’un des thèmes du XVIe sommet de la Francophonie.
Sauvegarder la langue française, qui est en déclin depuis quelques décennies, passe aussi par le soutien aux langues locales. Le poète et linguiste malgache Henri Rahaingoson a écrit, en 1993, une phrase qui est déjà devenue un vieil adage à Madagascar : « Andrianiko ny teniko, ny an’ny hafa koa feheziko », qu’il a traduit par : « Ma langue, je la fais souveraine, quant à celle d’autrui, je la maîtrise et la fais mienne aussi, qui habille notre esprit d’ouverture, bien dans notre époque. »
Mais le problème de l’éducation et de la culture ne peut être résolu sans une démarche de développement économique solide et pérenne. À l’ère d’internet et de la mondialisation, un citoyen du monde doit être en mesure de parler correctement sa langue et une langue internationale, universelle. Comme le dit un proverbe malgache : « Raha noana ny vatana, mivezivezy ny fanahy », (« si le corps a faim, l’esprit est ailleurs »).
Et force est de constater que 80 % des Malgaches vivent en milieu rural et ne pratiquent que la langue nationale, alors que toutes les communications administratives sont en langue française, deuxième langue officielle après le malgache. Adapter les communications modernes à la langue malgache pour favoriser la circulation des biens et des échanges dans toute l’île, et pour instruire la population, est certainement la solution pour obtenir, demain, le bilinguisme. Voilà la vraie condition du « libres ensemble », pour une Francophonie rayonnante.
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