Le français, ma boussole
Le français, ma langue non maternelle, mais d’écriture, que j’ai appris chez moi, dans mon village, dans l’ambiance et l’environnement de ma langue maternelle, le tem, le français est devenu depuis plusieurs décennies ma langue de tous les jours, celle que je parle au sein de ma famille, avec les miens dans le cercle réduit du foyer, avec mes amis, avec mes compatriotes…
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Sami Tchak
Né au Togo en 1960, auteur de La Couleur de l’écrivain » (La Cheminante, 2014).
Publié le 16 novembre 2016 Lecture : 2 minutes.
Littérature : cette langue que nous habitons
La question linguistique dépasse le cadre de la réflexion littéraire, c’est une question au cœur de la complexité de la chose sociale.
C’est la langue qui structure mes relations aux autres, aux imaginaires et aux idées. Le français est même devenu, toutes les fois où je me suis retrouvé dans un pays, dans une ville où ses locuteurs sont assez rares, un élément « naturel » de ralliement, car, dans ces cas-là, il me suffit d’entendre une personne s’exprimer dans cette langue pour que je me dise : « Ah ! Un mien ! » ou « Une mienne ! » J’ai comme un élan spontané vers cette personne, dont la présence me rassure.
Dans ma vie intellectuelle, cette langue a pris une place d’autant plus importante que, vivant depuis des décennies loin de chez moi, j’ai peu d’opportunités d’habiter ma langue maternelle, de faire lien à l’autre avec ma langue maternelle.
En tant qu’écrivain, cette langue, qui est la seule dans laquelle je peux m’exprimer au meilleur de moi-même (je n’ai pas une maîtrise suffisante de l’anglais ou de l’espagnol par exemple pour prétendre écrire dans ces idiomes), n’est pas dans ma vie un outil, elle fait partie de moi, j’en dépends.
Si un traumatisme m’en privait subitement, mon monde se rétrécirait, même si, oui, il me resterait alors à retrouver la beauté et la complexité humaines dans l’univers de ma langue maternelle, chez moi surtout, cette langue qui, en moi, faute d’un usage suffisant, s’est relativement amenuisée, dans la mesure où, en tem, il m’arrive de chercher bien de mes mots (j’en ai oublié certains), même si je sais qu’il ne me faudra pas plus d’une semaine pour renaître entièrement à ma propre vérité.
Cependant, et je l’ai développé dans La Couleur de l’écrivain, je suis conscient qu’en français il y aura toujours une part assez profonde de moi que je parviendrai difficilement à exprimer. Le français, qui, au moment où je vivais chez moi, n’était qu’une langue parmi d’autres, que bien des miens n’ont jamais parlée, le français devenu ma boussole, me dit aussi mes limites.
J’ai toujours pensé que l’écrivain écrit idéalement dans sa langue maternelle, non en me fiant à un fait normal, le fait que les écrivains, dans leur très large majorité, se trouvent dans les conditions idéales d’écrire dans leur langue, mais surtout parce que mon expérience d’un humain ayant pris conscience de soi et du monde dans sa langue maternelle, non écrite, pour se retrouver, après un long parcours scolaire et universitaire, à vivre entièrement dans une autre langue, sa langue d’écriture, m’a suffisamment instruit sur la difficulté à descendre en soi, à descendre par exemple dans la complexité de l’univers de son enfance, à partir d’une sorte de traduction.
Écrire en français pour moi, le français qui n’est pas étranger, qui ne m’est pas étranger, écrire en français pour moi, c’est tenter constamment de ramener dans mes tripes une langue que j’avais captée comme artificiellement par la tête, pour qu’elle puisse traduire au mieux le contenu complexe d’une langue dont tout mon être est imprégné, ma tête, mes tripes… donc le tem. Je ne fais pas une synthèse, je ne me trouve pas dans une situation de diglossie, je tente plutôt d’être celui que je pense être déjà, un écrivain, donc celui pour qui aucune langue n’est évidente, celui pour qui une langue d’écriture non maternelle l’est encore moins.
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