France : la bataille du centre

L’une de ses composantes, l’UDI, penche nettement à droite. L’autre, le Modem, oscille entre les deux côtés de l’échiquier. Qu’en sera-t-il à la présidentielle de 2017 ? C’est l’un des enjeux du scrutin.

François Bayrou aux obséques de Jacques Barrot. © THIERRY ZOCCOLAN / AFP

François Bayrou aux obséques de Jacques Barrot. © THIERRY ZOCCOLAN / AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 16 décembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Le 8 décembre, en l’église Sainte-Clotilde, à Paris, les obsèques du centriste Jacques Barrot – un ancien ministre et ancien commissaire européen qui, parti de la vieille démocratie chrétienne, finit par jeter l’ancre à l’Union pour un mouvement populaire (UMP) – ont réuni la fine fleur de la droite française. Ils étaient tous là.

De Jean-Christophe Lagarde et Nicolas Sarkozy, les présidents fraîchement élus de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) et de l’UMP, à François Bayrou, celui du Mouvement démocrate (Modem), en passant par Alain Juppé, Bruno Le Maire, François Fillon, Jean-Pierre Raffarin et beaucoup d’autres. Sur le parvis, c’était l’union sacrée, inlassablement rejouée et toujours avortée. À l’évidence, la droite gaulliste compte bien la mettre une nouvelle fois à profit pour convaincre le centre de lui apporter ses voix. Il est vrai que ce dernier a bien du mal à exister…

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Car les centristes sont des modérés, des Européens convaincus, des hommes de nuances aux antipodes du populisme en vogue et généralement pas très à l’aise face aux médias. Ce qui explique sans doute le foisonnement des partis se réclamant de cette obédience, leur manque de visibilité, le nombre élevé de leurs élus locaux, la rareté de leurs militants, et, logiquement, l’indiscipline qui règne dans leurs rangs.

Huit petites formations se réunissent dans l’UDI

Un homme a cherché à fédérer cette nébuleuse de chapelles rivales. Il se nomme Jean-Louis Borloo. En 2012, le président du Parti radical et ancien ministre a compris que l’échec de la campagne droitière de Sarkozy à l’élection présidentielle constituait une aubaine. Il a convaincu huit autres petites formations (Nouveau Centre, Alliance centriste, Gauche moderne, Force européenne démocrate, etc.) de se réunir dans l’UDI. Cette formation compte 30 députés et 60 000 adhérents.

Un autre homme fort du centre demeurait à l’écart de ces retrouvailles, quand il ne les tournait pas en dérision ("un chargement de grenouilles dans une brouette"). Son nom ? François Bayrou, président du Modem. Trois fois candidat à l’élection présidentielle, il appela en 2012 à voter pour le candidat socialiste, raison pour laquelle il est depuis tricard dans sa famille politique.

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Borloo lui a fait valoir que Hollande avait été sourd à ses appels du pied et qu’entre un pouvoir socialiste devenu impopulaire et une UMP en pleine guerre fratricide, il était temps que la famille centriste constitue une alternative crédible. Et une machine de guerre pour la présidentielle. Le 5 novembre 2013, le mariage fut donc conclu. Et le bébé, joliment prénommé L’Alternative, fut aussitôt porté sur les fonts baptismaux. Il s’agissait d’une sorte de coopérative électorale UDI-Modem destinée à présenter des candidats communs dans les futurs scrutins.

Mais soudain, patatras ! Le 6 avril 2014, Borloo annonce sa retraite politique pour raisons de santé. Jean-Christophe Lagarde, député de Seine-Saint-Denis, est, le 13 novembre, désigné pour le remplacer à la présidence du parti par 53,5 % des suffrages militants face à l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin.

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Sur le plan des idées, l’attelage semble cohérent. Les deux partis se veulent proeuropéens, réformistes, hostiles à l’hyperprésidentialisation du régime et favorables à la décentralisation. Sur le plan organisationnel, aussi, les approches semblent complémentaires. L’UDI a des élus mais, pour l’instant, pas de leader présidentiable, Lagarde restant peu connu. Le Modem a très peu d’élus, mais, avec Bayrou, un présidentiable qui, déjà, piaffe sur la ligne de départ.

Sur le plan tactique, c’est une autre affaire. Le Modem entend se tenir à égale distance de la droite et de la gauche. Il lui arrive même de s’associer à cette dernière pour gérer des villes comme Dijon, Lille ou Lyon. Naturellement, cela lui coûte des suffrages, et donc des élus, dans les villes où la droite est en position de force. À l’inverse, l’UDI est résolument ancrée à droite et s’allie systématiquement à l’UMP pour obtenir des élus.

Reste que le scrutin majoritaire à deux tours est toujours en vigueur, malgré certaines velléités d’y inclure une dose de proportionnelle qui ouvrirait les portes de l’Assemblée à un plus grand nombre de députés membres de petits partis. Autant dire que le centre continuera d’être laminé aux législatives entre une UMP et un Parti socialiste ultradominants.

Cela ne veut pas dire qu’il soit quantité négligeable. Comme le rappelle Nicolas Sauger, professeur à Sciences-Po, ses scores fluctuent beaucoup d’une consultation à l’autre. Aux législatives de 2002, par exemple, les candidats centristes ne recueillirent que 4,9 % des suffrages exprimés. Mais à la présidentielle de 2007, Bayrou en rassembla sur son nom quelque 18,6 % ! Aux élections européennes, le centre dispose d’un "socle stable de 10 %".

Conclusion : il constitue une vraie force politique, mais "périphérique". Ce sont ses électeurs qui ont fait perdre Sarkozy en 2012, parce qu’ils ne supportaient plus sa vulgarité et ses "casseroles" politico-judiciaires. "Un tiers des villes qui ont basculé à droite aux municipales du printemps 2014 ont été remportées par l’UDI", rappelle par ailleurs Yves Jégo, député de Seine-et-Marne.

Les adhérents du Modem ne participeront pas à la primaire de l’UMP

Les deux principaux candidats UMP à l’Élysée l’ont parfaitement compris. Juppé a soutenu Bayrou dans sa conquête de la mairie de Pau et, en retour, celui-ci proclame qu’il se rallierait au maire de Bordeaux s’il advenait qu’il ne soit pas lui-même en mesure de concourir. De son côté, Sarkozy tente de rallier Borloo, aujourd’hui totalement guéri, à sa cause.

En fait, tout est conditionné par la primaire que l’UMP organisera l’an prochain pour désigner son candidat à la présidentielle de 2017. Le président de l’UMP a intérêt à limiter au minimum l’ouverture de ce scrutin aux électeurs du centre, qui lui sont a priori peu favorables. Il a d’ores et déjà refusé que les adhérents du Modem puissent y participer, car ce parti est, dit-il, "avec la gauche, le matin ; et avec la droite, le soir". Mais Jean-Christophe Lagarde a prévenu, au nom de l’UDI, qu’en l’absence du Modem il ne participerait pas à ladite primaire.

Juppé sait qu’il lui faut les voix du centre pour espérer battre Sarkozy, qui a la faveur des deux tiers des militants de l’UMP. Les huées qui, le 22 novembre, dans sa ville de Bordeaux, ont salué sa proposition d’un "rassemblement de la droite et du centre" ne peuvent que le conforter dans sa volonté d’une "primaire ouverte". Aussi milite-t-il plus que jamais pour que le plus grand nombre d’électeurs non membres de l’UMP soient admis à choisir le candidat UMP-UDI-Modem.

À l’évidence, le centre a peu de chances d’avoir un candidat à l’Élysée en 2017. Mais il risque bien de jouer les faiseurs de roi.

Borloo du Nord au Sud

Imprévisible, Jean-Louis Borloo ! Jamais à court d’idée pour sauver la planète du réchauffement climatique ou la France du chômage, il fédère en 2012 les partis confettis du centre dans une Union des démocrates et des indépendants (UDI). L’objectif est évidemment de contrebalancer l’influence d’une UMP en plein désarroi après l’échec de Sarkozy à la présidentielle.

Deux ans plus tard, à 63 ans, il annonce son retrait de la politique pour raisons de santé : il a fait une pneumonie aiguë, suivie d’une septicémie. Ainsi s’achève une carrière longue de vingt-cinq ans ponctuée de fonctions et de mandats divers : ministre, député (du Nord), maire (de Valenciennes), candidat à l’Élysée, etc. C’est promis, il ne sera plus candidat à quelque élection que ce soit.

Le nouveau dada de ce Géo Trouvetou de la politique française, qui s’ennuie quand il lui faut gérer ? L’Afrique "à 100 %", assure-t-il. L’Afrique, "parce qu’elle est en panne, faute d’électricité". L’Afrique, qu’il sillonne pour découvrir l’endroit où la fondation qu’il entend créer pourra investir dans l’énergie. Il songe à une centrale solaire du côté de Kita, au Mali…

Reste que ses amis centristes ne croient guère à cette reconversion. Et qu’ils lui prêtent même de fortes envies de retour. Selon la rumeur, il a soutenu Yves Jégo pour la présidence de l’UDI et téléphone régulièrement à Nicolas Sarkozy. Il jure qu’il n’en est rien, mais est-on obligé de le croire ?

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