Chasseurs de fantômes

Publié le 15 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Voici donc l’ami Blaise de retour à la case départ de son exil : Yamoussoukro. Depuis les errances du Shah d’Iran, six fois ballotté de pays en pays après sa chute, on sait que le destin des chefs d’État renversés n’est pas une sinécure : bien rares sont les amis d’hier qui ne vous tournent pas le dos et, parmi ceux qui vous reçoivent encore en catimini, la plupart nieront vous avoir vu passer. Surtout lorsqu’une demande d’extradition plane au-dessus de votre tête ou que la Cour pénale internationale (CPI) vous a placé dans son viseur. Ce n’est certes pas encore le cas de l’ex-président burkinabè, lequel a eu la sagesse de ne pas faire couler le sang avant de fuir. Mais cette simple possibilité suffit à faire de lui un fantôme indésirable.

>> Voir aussi notre infographie : Que deviennent les anciens barons du régime de Compaoré ?

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Pour Fatou Bensouda, procureur général de la CPI, la reddition sans résistance de Blaise Compaoré tombe à point nommé : elle démontre que l’épée de Damoclès que fait planer la Cour sur le destin des autocrates peut avoir sur leur comportement un effet dissuasif. Une éclaircie dans un ciel orageux, car jamais depuis son entrée en fonction il y a une douzaine d’années, la crédibilité de la CPI n’a été aussi contestée.

Bensouda aura-t-elle la volonté (et la possibilité) d’entamer en 2015 une procédure à propos des bombardements israéliens sur Gaza ?

Non seulement Mme Bensouda vient de subir un revers de taille en étant contrainte d’abandonner les poursuites contre le président kényan Uhuru Kenyatta, mais les quelque 165 millions de dollars de budget annuel de la Cour semblent n’être dévolus qu’à un seul objectif : poursuivre des Africains. Après tout, la totalité des détenus de la prison de Scheveningen le sont, au point que certains se demandent ouvertement si la CPI n’est pas devenue une affaire d’impérialistes blancs. Remarque idiote bien sûr : son président est coréen, son procureur de nationalité gambienne et l’Assemblée des États membres a porté à sa tête, le 8 décembre, un Sénégalais, Sidiki Kaba.

Signe pourtant d’un malaise certain, ce dernier résume ainsi, dans un texto qu’il nous a fait parvenir, la tonalité de son discours d’investiture : "J’ai dit que l’Afrique ne doit plus être seule devant la CPI." Dont acte. Le vrai défi désormais, pour la Cour de La Haye, est donc à la fois de juger au mieux les affaires pendantes – prochain verdict attendu, celui du Congolais Jean-Pierre Bemba, contre qui les preuves semblent bien fragiles – et de… sortir d’Afrique.

Le problème est qu’au vu des enquêtes en cours le bureau du procureur ne semble disposé à élargir son champ d’investigation que pour mieux rebondir sous les mêmes latitudes. Ailleurs, mais toujours au Sud : Colombie, Honduras, Afghanistan, Irak… Fatou Bensouda aura-t-elle la volonté (et la possibilité) d’entamer en 2015 une procédure à propos des bombardements israéliens sur Gaza, ainsi que le souhaite l’Autorité palestinienne ? Le test sera intéressant à suivre…

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Quel qu’en soit le résultat, il est un dilemme que la Cour aura bien du mal à trancher. Cette polémique – qui était au coeur de l’affaire Kenyatta et qui, peut-être, sous une forme ou sous une autre, concernera demain Blaise Compaoré et ceux de ses pairs tentés de troquer leur départ du pouvoir contre une forme d’immunité – se résume en une interrogation fondamentale : la justice doit-elle primer sur la recherche de la paix ou la quête de paix doit-elle passer avant l’idéal de justice absolue, quand il apparaît que la seconde est susceptible d’entraver la première ? L’Afrique du Sud postapartheid, avec sa Commission Vérité et Réconciliation, a clairement choisi la voie de la paix avant tout. Plus que jamais, le débat reste ouvert…

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