Pierre-Claver Mbonimpa : « Les présidents africains ont la même maladie »

De passage à Paris où il a été invité par Human Rights Watch pour recevoir le prix Alison Des Forges pour les droits de l’homme, Pierre-Claver Mbonimpa s’est confié jeudi à Jeune Afrique. Victime d’une tentative d’assassinat il y a un an, le « Mandela burundais » plaide pour une « solution concertée » à la crise au Burundi. Interview.

Pierre-Claver Mbonimpa, défenseur burundais des droits de l’homme, le 17 novembre 2016 à Paris. © Trésor Kibangula/J.A.

Pierre-Claver Mbonimpa, défenseur burundais des droits de l’homme, le 17 novembre 2016 à Paris. © Trésor Kibangula/J.A.

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Publié le 18 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Sa main tremble encore lorsqu’il essaye d’écrire, sa voix est faible. Mais Pierre-Claver Mbonimpa reste alerte. Quinze mois plus tôt, « l’activiste le plus connu, le plus aimé et le plus admiré du Burundi » – selon les propos de la chercheuse Carina Tertsakian de Human Rights Watch – a été atteint à la mâchoire par une balle qui est ressortie par la pommette gauche, une autre l’ayant écorché au cou.

Pierre-Claver Mbonimpa quitte le Burundi quatre jours plus tard pour aller se soigner en Belgique. Trois mois plus tard, son fils sera enlevé par des hommes en uniformes avant d’être retrouvé mort. Malgré ce drame et une douloureuse convalescence, l’infatigable défenseur des droits humains n’abandonne pas la lutte. À la tête de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), il continue de suivre au jour le jour l’évolution de la situation dans son pays.

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Fort d’un réseau d’informateurs (il préfère les appeler les « points focaux »), qui se recrutent même au sein des forces de l’ordre, de l’armée et des services de renseignement, Pierre-Claver Mbonimpa et l’APRODH ont pu identifier 920 personnes tuées au Burundi entre avril 2015 et octobre 2016. « Mais il y d’autres victimes qui ont été enterrées dans des fosses communes et que nous n’avons pas pu identifier », précise le lauréat 2016 du prix Alison Des Forges pour les droits de l’homme.

Jeune Afrique : En août 2015, vous avez été victime d’une tentative d’assassinat à Bujumbura. Comment vous portez-vous aujourd’hui ?

Pierre-Claver Mbonimpa : Je me porte bien. Ma santé s’est améliorée en Belgique où j’avais été évacué pour des soins appropriés. Mais au Burundi, le pouvoir a assassiné mon beau-fils et mon enfant qui n’avait que 24 ans alors que j’étais sur le lit de l’hôpital. C’est ce qui m’a fait vraiment beaucoup souffrir. Aujourd’hui, je me suis remis et je vis comme tout Burundais qui supporte la situation qui prévaut dans son pays.

Il n’y a pas de justice au Burundi

Où en est l’enquête sur votre tentative d’assassinat ?

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Il n’y pas d’enquête. Et la raison est simple : il n’y a pas de justice au Burundi. C’est pourquoi je ne cesse de lutter pour que cette justice soit réellement indépendante, affranchie de l’emprise de l’exécutif. Aujourd’hui, les juges burundais ne peuvent pas initier d’enquêtes sur des crimes s’ils n’ont pas reçu en amont l’autorisation du gouvernement. Je plaide pour que la justice internationale continue à s’intéresser à ce qui se passe au Burundi.

Comment avez-vous reçu l’annonce du retrait du Burundi de Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI) ?

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J’ai toujours dit et répété : lorsqu’on veut se retirer de la CPI, c’est parce qu’on se reproche quelque chose. De toutes les façons, je considère que c’est Pierre Nkurunziza et ses lieutenants qui se sont retirés de la CPI mais les Burundais continuent à faire confiance à cette juridiction internationale.

Avec le comité des Burundais des Pays-Bas et la Synergie de la diaspora burundaise, nous avons d’ailleurs organisé une grande marche de soutien, le 11 novembre, devant les bureaux de la CPI à La Haye. Nous en avons profité pour demander justice.

Je ne suis pas en mesure de qualifier de génocide les tueries en cours au Burundi

Le 15 novembre, la FIDH et une ONG burundaise des droits de l’homme ont publié un rapport dans lequel elles alertent l’opinion sur une « répression aux dynamiques génocidaires » au Burundi. Partagez-vous ce constat ?

Génocide, massacres à grande échelle, assassinats… Pour moi, c’est la même chose. Je ne suis pas en mesure de qualifier de génocide les tueries en cours au Burundi. Même la FIDH ne le confirme pas mais parle de risque de génocide. S’il y a génocide, les Nations unies pourront nous le dire.

En attendant, certains chefs d’État africains continuent à soutenir le pouvoir de Nkurunziza, à l’instar du président tchadien, Idris Déby Itno, qui est également président de l’Union africaine (UA)…

Les présidents africains ont la même maladie : s’éterniser au pouvoir, s’enrichir au détriment de la population. Rien d’étonnant donc qu’ils se soutiennent mutuellement. Qu’à cela ne tienne, tous les chefs d’État du continent n’ont pas apporté leur soutien à Pierre Nkurunziza. Nous espérons aussi que l’Union européenne pourra nous aider à trouver une solution à la crise actuelle. Bien que petit pays, le Burundi fait tout de même partie du monde.

Nkurunziza ne peut refuser indéfiniment de discuter

Un dialogue sincère est-il encore possible avec le président Pierre Nkurunziza ?

Le dialogue est la seule voie constructive. Nkurunziza n’a jamais gagné la guerre, malgré ses 10 ans de rébellion. Il est devenu président grâce au dialogue et aux accords d’Arusha. Une solution concertée demeure la meilleure façon de ramener la paix au Burundi. Et Nkurunziza ne peut refuser indéfiniment de discuter, il n’est pas au-dessus du monde entier.

En quoi consisteraient ces pourparlers ?

À vrai dire, il n’y rien à négocier. Le peuple burundais continue à réclamer le respect des accords d’Arusha et de la Constitution. C’est le remède à la crise en cours, comme ce fut dans le passé. Et le seul point à l’ordre du jour du dialogue avec le gouvernement de facto de Pierre Nkurunziza.

Les accords d’Arusha et la Constitution sont clairs : aucun président de la République ne peut briguer plus de deux mandats.

Comptez-vous retourner au Burundi dans les jours, les semaines ou les mois à venir ?

Je retournerai un jour au Burundi. Coûte que coûte ! Je suis Burundais, je suis né au Burundi. Avec mon âge (66 ans), ma place se trouve chez moi, au Burundi.

D’ailleurs, je ne suis ni exilé ni réfugié politique. J’ai quitté le pays avec l’autorisation du gouvernement et je continue à suivre des soins en Belgique. Je n’ai pas encore complètement recouvré ma voix. Dès que je la recouvre, je demanderai aux autorités de me permettre de rentrer chez moi. En attendant, je continue à me battre pour qu’une solution concertée soit trouvée à la crise.

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