Au Kenya, une écologie du système D s’adapte déjà au changement climatique
Alors que l’adaptation du continent africain au changement climatique occupe une place centrale dans les discussions de la COP22 à Marrakech, des entrepreneurs kényans redoublent de bonnes idées et développent déjà une écologie du système D. Reportage.
Les toilettes, source d’énergie
« Tous les plats qui sortent de cette cuisine, eh bien ça vient de là ». Malicieusement, le doigt d’Alice Wanjiru se déplace du restaurant… en direction des toilettes. Loin de vouloir faire fuir ses clients, la jeune femme indique par là que sa cuisine fonctionne au biogaz. Des toilettes qui jouxtent le bâtiment, les excréments humains sont directement récupérés dans un digesteur qui à la fin du processus de fermentation libère un gaz permettant de faire tourner la cuisine du restaurant.
« C’est un processus naturel, tous les déchets émettent un gaz. Les épluchures de patates, les excréments des animaux et, aussi dans ce cas-là, les excréments humains », poursuit-elle.
L’objectif du projet est donc double : s’affranchir du charbon, coûteux et polluant, mais également s’attaquer à un enjeu de santé publique dans ce bidonville de Nairobi où les installations sanitaires sont inexistantes. Dans la capitale kényane, 40% de la mortalité infantile est causée par un assainissement inadéquat.
En l’absence de toilettes, les défections humaines jonchent tout simplement les rues du quartier. Deux ans après l’ouverture de ces installations, les premiers signes sont prometteurs : « quand j’ai ouvert, quatorze personnes sont venues. Aujourd’hui, elles sont près de trois cents à utiliser ces toilettes chaque jour ». Sept femmes ont pu par la suite être employées pour travailler à l’entretien et à la gestion de ces infrastructures.
Une centrale hydroélectrique low cost pour y voir plus clair
À un peu plus de 100 km de là, à Mihuti, on ne recycle pas les excréments mais des pièces de vélos et mobylettes hors d’état. Leur fonction ? Générer de l’hydroélectricité à partir d’une chute d’eau locale. La turbine est remplacée par une jante de vélo et le générateur vient de moteurs standards disponibles localement.
« J’avais déjà vu des dynamos sur un vélo. J’ai observé comment la roue du vélo tournait jusqu’à ce que ça produise de la lumière. J’ai ensuite tout démonté pour comprendre comment ça marchait », détaille John Magiro, initiateur du projet.
Dans un village rural de la région de Muranga, voisin de l’initiative de John Magiro, les ménages utilisent des lampes à pétrole pour s’éclairer. Mais le kérosène coûte cher et il faut faire plusieurs kilomètres pour aller l’acheter à Kangema, la ville la plus proche.
Au démarrage du projet : quelques voisins curieux, qui sont venus recharger leurs portables. Aujourd’hui, 77 foyers s’approvisionnent à cette source d’électricité d’un genre nouveau, et 400 autres devraient l’être d’ici trois ans. Pour les habitants, les tarifs sont abordables car la centrale hydroélectrique locale contourne les frais de raccordement aux fournisseurs d’électricité traditionnels. À Mihuti, le luxe de l’électricité s’achète ainsi à moins d’un euro par mois.
Engrais de cosses de riz
Réduire les coûts pour proposer des produits abordables, c’est également le défi que s’est lancé Samuel Rigu, fondateur de Safi Organics. L’engrais bio qu’il produit dans la région de Mwea est deux fois moins cher que l’engrais importé que les agriculteurs trouvent sur le marché.
Son constat est simple : l’engrais chimique importé est non seulement coûteux, mais il n’est pas adapté aux cultures de l’Afrique subsaharienne. Dans les zones où le terrain agricole est intrinsèquement acide, l’application de ces engrais chimiques conduit à long terme à la dégradation des sols.
Son engrais bio, une fine poudre noire légèrement odorante, provient des déchets agricoles issus de la riziculture intensive de la région. À Mwea, quinze tonnes de cosses de riz sont produites chaque jour. Déversés ou brûlés, ces déchets ont un impact négatif sur l’environnement. Samuel égraine la fine poudre entre ses doigts : « Il s’agit d’un engrais bio à carbone négatif. Il va modifier le sol et augmenter de 30% les rendements du terrain », assure ce diplômé de l’école Agribusiness Management à l’Université de Nairobi.
Le recyclage des sacs plastiques en bonne voie
Loin des champs et des rizières poussent les “fleur des villes”. C’est ainsi que Jackline Lang’at appelle ironiquement les millions de sacs plastiques colorés qui jonchent les rues des villes kényanes. Depuis un an, cette jeune entrepreneure a réussi à réconcilier deux problèmes typiquement africains : la prolifération des sacs plastiques et le mauvais état de la voirie. Son entreprise, Green Road Ltd, pilote la construction de routes à partir d’un matériau composé d’asphalte et de plastique recyclé. Le matériau obtenu est censé augmenter la longévité des routes, réduisant dégradations et nids de poules causés notamment pendant la saison des pluies.
Ses perspectives de développement ? Parvenir à créer un “marché des déchets plastiques” dans les villes. Les sacs usagés sont collectés par des femmes et groupes de jeunes autour des sites de décharge urbaine avec pour objectif de créer cinq cents de ces emplois indirects d’ici un an.
Le potentiel issu du recyclage de ces sacs plastiques est énorme et n’a pas séduit que le Kenya. Au Mali, au Congo-Brazzaville ou au Burkina Faso par exemple, on utilise déjà ce procédé depuis une dizaine d’années.
L’art de la débrouille
À l’origine de ces quatre projets : l’art de la débrouille, ou comment tout fabriquer à partir de rien. Cette philosophie du système D a permis à ces start-up de remporter en 2016 le prix Seed, récompensant les entreprises innovantes dans le développement durable des pays émergents.
En dépit de sa contribution mineure aux émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique est le continent le plus menacé par le réchauffement climatique. Les défis sont énormes et la pression climatique oblige les pays à développer de nouvelles stratégies d’adaptation. Selon la dernière étude du cabinet britannique Verisk Maplecroft, sept des dix pays les plus exposés aux changements climatiques se trouvent sur le continent africain.
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