Maroc : la pastilla sauce gombo, une recette de Mohammed VI
Il est un facteur que ceux qu’irrite – et que gêne – l’activisme continental de Mohammed VI ne sauraient lui retirer : ce roi-là aime l’Afrique.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 28 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.
Chaque fois qu’il se rend dans une capitale au sud du Sahara, M6 fait ce qu’aucun chef d’État n’ose ou ne souhaite faire. Il emprunte un véhicule, s’installe parfois au volant et sillonne les quartiers populaires de Dakar, Abidjan, Libreville ou Kigali, au contact des « vraies gens » et des nids-de-poule, exactement comme il le fait au Maroc, pour le plus grand bonheur des amateurs de selfies.
Anecdotiques, mais significatifs, les goûts de « Sidna » traduisent bien son appétence pour cette partie intégrante de la culture subsaharienne qu’est la gastronomie. Depuis qu’il a fait embaucher au Palais un cuisinier sénégalais et un autre ivoirien, le tiéboudienne et le poulet yassa n’ont plus de secrets pour lui.
Ses hôtes africains qui, croyant lui faire plaisir, proposent à la table des dîners officiels couscous, tajine et pastilla en sont d’ailleurs pour leurs frais : le roi ne touche qu’aux plats locaux – avec délectation. Un tropisme quasi charnel qui démontre s’il en était besoin que l’afrocentrisme revendiqué du fils de Hassan II ne relève exclusivement ni de l’utilitarisme diplomatico-commercial ni de la volonté de s’affirmer en tant que puissance continentale – même si ces deux préoccupations existent –, mais avant tout d’une volonté sincère d’établir un partenariat Sud-Sud et de renouer avec les racines africaines du Maroc.
À l’heure des visites éclair des dirigeants occidentaux en Afrique, lui prend le temps de rester plusieurs jours de suite dans les villes visitées, sans craindre de bousculer le programme initial. Sympathique et… payant en matière d’image : partout où il passe, M6 reçoit un accueil de rock star.
Le Maroc a à sa tête un leader qui voyage, impulse et mouille la djellaba, et un secteur privé depuis longtemps converti à l’afroptimisme
Même si le but recherché n’est pas en priorité celui-ci, les longues tournées du roi et sa volonté d’intégrer l’Union africaine (UA) sont aussi à décrypter au regard d’une rivalité algéro-marocaine dont le conflit à propos du Sahara occidental est, on ne le répétera jamais assez, la conséquence plutôt que la cause. En douterait-on encore qu’un tout récent éditorial de l’officieux El Moudjahid, qualifiant de « énième manœuvre royale » et de « vaste campagne de propagande » les derniers voyages de M6 et la tenue de la COP22 à Marrakech, suivie d’un Africa Day aux allures de sommet Maroc-Afrique, vient à point nommé rappeler combien l’Algérie voit d’un œil suspicieux la perspective d’un royaume siégeant à nouveau parmi ses pairs au sein de l’Africa Hall d’Addis-Abeba, dès la fin janvier 2017.
Certes, le Maroc dispose par rapport à son voisin d’un double avantage en Afrique subsaharienne : il a à sa tête un leader qui voyage, impulse et mouille la djellaba, et un secteur privé depuis longtemps converti à l’afroptimisme et incomparablement plus dynamique. Aiguillonné par un ministre des Affaires étrangères compétent, Ramtane Lamamra, le réveil de l’Algérie est sur ce plan bien tardif – l’inverse en somme de la situation qui prévalait dans les années 1980 et 1990, quand la diplomatie marocaine sommeillait sur le hamac de ses certitudes alors que son équivalente algérienne vibrionnait de sommets en conférences.
Ce train de retard, les autorités algériennes le reconnaissent d’ailleurs implicitement. En annonçant la tenue, début décembre à Alger, de la première édition du Forum africain d’investissements et d’affaires, le président du Forum des chefs d’entreprise et le numéro deux du patronat algérien ont ainsi plaidé pour la mise en œuvre d’une « stratégie globale pour la présence de l’Algérie en Afrique » – une stratégie que le Maroc a pour sa part définie il y a quinze ans et applique depuis lors.
Reste qu’Alger dispose toujours de quelques cartes – et alliés – susceptibles de contrarier le retour du Maroc au sein de l’UA, même si cette probabilité n’en est plus une, le royaume disposant désormais de plus de voix que le nombre nécessaire (28) pour valider sa réintégration. L’évidente mauvaise volonté de la présidente de la Commission de l’Union, Nkosazana Dlamini-Zuma, notoirement pro-République arabe sahraouie démocratique (Rasd), à diffuser auprès des pays membres les instruments de ratification de la demande marocaine n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Deux mois après avoir reçu à New York le document officiel d’adhésion des mains d’un conseiller du roi, la Sud-Africaine ne l’avait toujours pas sorti de ses tiroirs ! Il a fallu que Mohammed VI téléphone au « patron » de cette dernière, le président en exercice de l’UA, Idriss Déby Itno, pour que cette obstruction soit levée. C’était le 31 octobre, et, depuis, la distribution a commencé, au compte-gouttes.
Si le grand retour du Maroc fin janvier paraît acté, la suite, elle, s’écrit en pointillé, puisque, à la première tentative du royaume et de ses amis d’expulser la Rasd de l’UA, l’Algérie et ses proches opposeront le dogme de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation. Il est toujours plus compliqué de réparer une aberration – et l’absence du Maroc de l’instance panafricaine en est une – que de la commettre…
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