Cette Afrique qui « vote » Le Pen
Si l’élection de Donald Trump a sidéré la moitié des Américains et consterné les élites européennes, lesquelles l’ont vécue comme une sorte d’aberration aussi dangereuse que folklorique, rien ne prouve que l’onde de choc ait été ressentie avec la même intensité sur l’échelle de Richter de l’opinion africaine.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 21 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.
Surprise, oui, mais dans le fond, quel changement ? Seuls les naïfs et les myopes, ceux qui accordent plus d’importance au doigt qui montre la lune qu’à la lune elle-même, pouvaient penser que le prosélytisme missionnaire des néoconservateurs démocrates, ces « faucons libéraux » dont Hillary Clinton est la figure de proue, était autre chose qu’une manière de défendre et d’imposer les intérêts américains sur le continent.
Le fait que ces derniers le seront bientôt à visage brut par un homme et une équipe qui n’ont cure de l’Afrique, si ce n’est pour y conclure des deals commerciaux avec tout le cynisme dont sont capables les businessmen, aura au moins le mérite d’être clair.
Sous l’administration Obama, quand un régime avait tendance à ouvrir largement ses marchés aux entreprises chinoises, les ambassades américaines avaient pour consigne discrète de contre-attaquer sur le terrain – ô combien fertile – des droits de l’homme et de la démocratie.
Désormais, c’est cash, en face, donnant-donnant et menaces à l’appui que les mises en garde se feront au nom des dividendes commerciaux des États-Unis, sans qu’il soit besoin d’en passer par le cache-sexe d’une mission civilisatrice qui est le cadet des soucis de M. Trump.
L’Afrique dans la campagne électorale
Et l’élection française ? Même pipe du même tabac. Si l’Afrique francophone suit avec passion les candidats et leurs débats, c’est assise devant son écran de télévision avec le vocabulaire d’un commentateur sportif. On y discute tactique, tacles et pronostics, on compte les points et les coups bas, et on s’écharpe sur le nom du vainqueur d’une compétition à tours multiples : les matchs des primaires valent presque ceux de la CAN.
Pour le reste, seuls quelques opposants nostalgiques des prises du pouvoir par procuration et une poignée de chefs d’État au regard de tirailleur obstinément fixé sur les rives de la Seine croient encore que l’identité du futur hôte de l’Élysée aura le moindre effet sur leurs intérêts.
Certes, l’engagement personnel de Nicolas Sarkozy contre Laurent Gbagbo, puis contre Kadhafi, et celui de François Hollande au Mali et en Centrafrique ont eu une influence directe sur le sort des populations concernées.
Mais, outre le fait que cette influence n’a pas toujours été bénéfique, les Africains ne sont pas candides : à Abidjan, à Tripoli, à Bamako, à Bangui, ce sont ses propres escomptes – voire ceux du donneur d’ordre lui-même – que la France a d’abord défendus. Il n’y a pas d’intervention désintéressée.
Quand l’Afrique est présente dans la campagne électorale française, c’est uniquement sous le prisme de la menace que ferait peser sa démographie sur le volume des flux migratoires, jamais sous celui des bonnes affaires que continuent d’y conclure, hors champ médiatique, les grands groupes hexagonaux.
Aucune élite n’a le courage de dire que l’Afrique est une chance pour l’Europe en crise face au choc des nationalismes américain et russe.
Aucun candidat réel ou putatif ne développe d’ailleurs le moindre soupçon de politique africaine, si ce n’est, pour François Hollande, de poursuivre la même (qui n’existe pas), et pour les postulants de droite de préconiser une sorte de plan Marshall destiné à « fixer » les Africains sur leur propre sol – proposition au destin de feuille morte, faute de trouver le premier euro pour la financer.
Marine Le Pen, xénophobe ? Et alors ?
En ces temps où les élites occidentales, que l’élection de Donald Trump a traumatisées, sont tétanisées par le reproche qui leur est fait de ne pas entendre le désir de sécurité, d’identité et de souveraineté de leurs concitoyens – demandes qui n’ont rien d’obscènes en soi mais auxquelles il convient d’apporter des réponses honnêtes et compatibles avec la démocratie –, nul n’a le courage de dire que l’Afrique est une chance pour l’Europe en crise face au choc des nationalismes américain et russe.
La notion de vérité ayant depuis longtemps disparu comme valeur de référence des discours électoraux, affirmer cela relève du suicide politique.
Rien d’étonnant dès lors à ce qu’une Marine Le Pen jouisse auprès de certains Africains d’une image nettement moins répulsive qu’en France, où la perspective de son accession au second tour de la présidentielle est vécue comme un cauchemar par ceux qui combattent l’idéologie du Front national.
Xénophobe ? Suprémaciste ? Islamophobe ? Extrémiste ? Oui, et alors ? « Si elle est élue, elle avancera brutalement comme Trump, à visage découvert, et ça aura l’avantage d’être clair. À nous d’établir le rapport de force qui s’impose », confiait tout récemment un chef d’État d’Afrique de l’Ouest, avant d’ajouter à propos de Nicolas Sarkozy, dont on mesure mal à Paris la défiance qu’il inspire auprès de ses pairs africains : « Entre Le Pen et lui, je préfère encore l’original à la photocopie. » C’est dire…
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