Ahmad Mohamed Ali : « La finance islamique n’est pas réservée aux musulmans »

Éducation, infrastructures, gouvernance… Le président de la Banque islamique de développement, Ahmad Mohamed Ali, évoque son implication en Afrique. 

Ahmad Mohamed Ali préside la BID depuis sa création en 1975. © Zainal Abd Halim/Reuters

Ahmad Mohamed Ali préside la BID depuis sa création en 1975. © Zainal Abd Halim/Reuters

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 10 octobre 2014 Lecture : 5 minutes.

Parmi les grands bailleurs de fonds multilatéraux présents en Afrique, la Banque islamique de développement (BID) n’est ni le plus connu ni le plus visible. Et pourtant, l’institution basée en Arabie saoudite a étendu très rapidement ses activités sur le continent au cours des dernières années, pour atteindre en 2013 un niveau d’intervention de 3,5 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros). C’est deux fois moins que la Banque africaine de développement (BAD) et cinq fois moins que la Banque mondiale.

Toutefois, la BID intervient sous de nombreuses formes : du prêt concessionnel (à taux préférentiels ou assorti d’exigences de garanties réduites) jusqu’à la prise de participation en capital. En 2008, l’institution a mis en place un programme spécial pour l’Afrique, qui sera parvenu en cinq ans à libérer 12 milliards de dollars – 7 milliards venant de la BID et 5 milliards apportés par des partenaires – pour 480 opérations. Et elle est l’un des principaux promoteurs de la finance islamique, qui peine encore à se développer sur le continent. Rencontre avec Ahmad Mohamed Ali, qui dirige la BID depuis sa création, en 1975.

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Propos recueillis par Frédéric Maury

Jeune Afrique : Un nombre croissant d’institutions multilatérales sont actives en Afrique. La BID peut-elle être comparée à la Banque mondiale ?

Ahmad Mohamed Ali : Oui. Comme elle nous sommes une institution multilatérale de financement. La différence principale réside dans le fait que nos membres sont tous issus des pays en développement. Il s’agit donc de coopération Sud-Sud. Nous avons commencé en 1975 avec 22 pays membres. Nous en comptons désormais 56, de la Turquie au Gabon, des Philippines au Suriname. Parmi eux : 26 pays africains. La seule condition est d’adhérer à l’Organisation de la conférence islamique et de contribuer au capital de la BID. Le principal contributeur est l’Arabie saoudite.

Que pensez-vous de l’arrivée d’une nouvelle banque de développement, celle des Brics ?

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Nous n’avons pas encore beaucoup de détails sur cette institution, mais nous sommes heureux de l’arrivée de toute nouvelle banque de développement qui travaillerait avec nous. Nous sommes tous complémentaires.

Le Groupe de la BID a approuvé l’investissement de 10,6 milliards de dollars en 2013. Quelle a été la part consacrée à l’Afrique ?

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Près de 3,5 milliards de dollars, dont 1,5 milliard pour les opérations de financement du commerce et 2 milliards pour le financement de projets.

Nous travaillons aussi à connecter les madrassas aux systèmes généraux d’enseignement.

Dans quels projets avez-vous été impliqué sur le continent ?

Nous avons participé à un grand nombre de projets importants, notamment au Sénégal, en Mauritanie et au Mali, où nous coopérons avec le Fonds arabe pour le développement économique et social. Parmi les dossiers traités, je citerai le barrage de Manantali, au Mali, ou la route transsaharienne reliant l’Algérie au Nigeria et dont la dernière portion, au Niger, devrait être terminée en 2015. Nous travaillons aussi à connecter les madrassas [écoles coraniques] aux systèmes généraux d’enseignement, afin de faciliter le passage de l’un vers l’autre. Nous l’avons fait au Tchad et au Niger, et nous allons développer la même approche au Sénégal et au Burkina.

La question des infrastructures est essentielle pour vous…

Oui, avec l’éducation. Nous finançons en priorité les routes et les voies de chemin de fer vers les pays enclavés.

Votre principal pays d’opération en Afrique est le Soudan, qui traverse de grandes difficultés économiques. Comment analysez-vous la situation ?

La BID a toujours opéré au Soudan, et nous sommes très optimistes. La partition a privé le pays d’importantes recettes pétrolières, mais l’agriculture s’y développe vite ainsi que le secteur minier en général, notamment l’extraction de l’or.

Une polémique récente a touché votre institution en Mauritanie, au sujet d’une centrale électrique à Nouakchott. L’association française Sherpa a fait état de « fortes présomptions de corruption » au sujet d’un contrat remporté sans appel d’offres par la compagnie finlandaise Wärtsilä.

Les questions de probité sont très importantes à nos yeux. Nous avons étudié ce dossier très attentivement et nous avons pu vérifier qu’il n’y avait pas de problème. Nous avons donc décidé d’investir. S’il n’y a pas eu d’appel d’offres sur la deuxième tranche de ce projet, c’est parce qu’il s’agissait d’une extension, et qu’il était donc plus simple de travailler avec la société qui avait réalisé la première partie du chantier. Cela se fait partout.

Nous souhaitons être impliqués dans tous les projets de banques islamiques en Afrique.

Votre groupe est un promoteur actif de la finance islamique qui se développe rapidement à travers le monde, mais plus lentement en Afrique. Pourquoi ?

Nous soutenons en effet de nombreuses banques islamiques et coopérons dans le domaine de la finance islamique avec des pays non membres de la BID. Ce type de financement prend de l’importance. Le Sénégal a levé en juillet 200 millions de dollars sous la forme de sukuk [obligation souveraine conforme à la charia]. Nous venons nous-mêmes de lancer un sukuk de 1,5 milliard de dollars.

Même le Royaume-Uni s’y est mis, en émettant une obligation de 200 millions de livres [256 millions d’euros]. La finance islamique n’est pas réservée aux pays musulmans, c’est simplement une autre manière de faire des affaires.

En 2009, vous avez racheté le réseau Banque islamique en Afrique de l’Ouest. Comment cela se passe-t-il ?

Ce réseau est implanté au Niger, en Guinée et au Sénégal. Ces banques sont toutes indépendantes, et une banque turque est également impliquée. Je dois reconnaître que le développement est lent et que ces banques restent très petites.

Souhaitez-vous être impliqué dans tous les projets de banques islamiques en Afrique ?

Oui, nous le souhaitons. Depuis 2014, nous possédons 21 % des parts de Zitouna Bank en Tunisie. Et au Nigeria, nous sommes au capital de Jaiz Bank, qui est sans doute la plus grande banque islamique en Afrique.

Quelle importance accordez-vous au développement du secteur privé sur le continent ?

C’est un élément stratégique pour nous, et nous avons plusieurs entités qui travaillent sur ce sujet. La Société islamique pour le développement du secteur privé a été créée pour investir dans le secteur privé. L’IITFC [International Islamic Trade Finance Corporation] intervient dans les opérations de financement des échanges commerciaux, et l’ICIEG [Islamic Corporation for Insurance of Investments and Export Credits] agit comme l’agence Miga, de la Banque mondiale, en apportant des garanties sur les investissements. Elle propose également des assurances en matière de crédit export.

En dehors des banques islamiques, dans quelles autres entreprises africaines avez-vous investi ?

Nous avons investi dans plusieurs de cimenteries, ainsi que dans la principale société sucrière du Maroc, la Cosumar.

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