Une révolution verte en Afrique est possible, réconciliant performances économique, sociale et environnementale
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Thomas Léonard
Thomas Léonard est le co-fondateur d’Okan, une société de conseil en stratégie et en finance spécialisée sur l’Afrique
Publié le 25 novembre 2016 Lecture : 5 minutes.
Thomas Sankara disait au sujet de l’agriculture africaine : « Nous avons trois stades à atteindre : la sécurité alimentaire, l’autosuffisance alimentaire et enfin la puissance alimentaire ». Force est de constater qu’aujourd’hui, l’agriculture africaine peine toujours à atteindre le premier stade. Deux tiers des pays africains sont toujours importateurs alimentaires nets pour un total de 35 milliards de dollars en 2015. 240 millions de personnes souffrent encore de malnutrition. Avec la croissance démographique et les changements alimentaires liés à l’urbanisation, les importations devraient augmenter à 100 milliards de dollars en 2025 d’après la Banque africaine de développement (BAD).
Avec la croissance démographique et les changements alimentaires liés à l’urbanisation, les importations devraient passer de 35 milliards en 2015 à 100 milliards de dollars en 2025
Tous les ingrédients sont pourtant là.
Leviers d’actions
Du côté de l’offre, les fondamentaux pour une production agricole abondante sont également là : disponibilité des terres agricoles (60% des terres arables restantes disponibles dans le monde), conditions agro-climatiques (similaires au Brésil pour l’Afrique Centrale), main d’œuvre abondante (10 millions de nouveaux entrants par an sur le marché du travail). S’il en était besoin, les succès enregistrés par la filière horticole au Kenya (exportations de fleurs, légumes et fruits d’un milliard de dollar) et du cacao en Côte d’Ivoire (40% de part de marché) illustrent la capacité de la production africaine à rivaliser avec les plus grands sur les marchés mondiaux.
Les leviers d’actions pour déclencher une révolution verte en Afrique sont nombreux et connus. On les retrouve dans le programme « Nourrir l’Afrique 2016-2025 » défini par la BAD, sous l’impulsion de son nouveau président Akinwumi Adesina : distribution d’intrants, financement, vulgarisation agricole, commercialisation, etc. Pour améliorer les performances agricoles, il faudra sensiblement améliorer tous ces facteurs, mais en pratique comment le faire ?
Deux modèles
Pour parvenir à enclencher la révolution agricole, une piste est esquissée dans le programme « Nourrir l’Afrique ». C’est celle du soutien à la mise en place de modèles innovants pour l’organisation et l’agrégation des fermiers. C’est cette piste qui est au cœur du plan Maroc Vert lancé en 2012 et qui commence à porter ses fruits au Maroc. Qu’entend-on par « agrégation des fermiers » ? Deux modèles existent : les coopératives où des petits agriculteurs unissent leurs forces d’une part, et les projets agricoles intégrés où un opérateur agro-industriel moderne appuie et encadre les petits agriculteurs environnants pour développer son approvisionnement, d’autre part.
Parmi les succès agricoles les plus remarquables en Afrique, les projets d’agrégation figurent en bonne place : les cotonnières du Sahel, la Laiterie du Berger au Sénégal, Sifca en Côte d’Ivoire. Sifca, entreprise active dans le palmier à huile, a bien sûr des plantations industrielles en propre. Mais elle repose pour 60% de son approvisionnement sur les plantations villageoises.
Pour sécuriser ses volumes, elle a mis en place un programme d’encadrement complet pour 27 000 petits planteurs sur 133 000 ha, appuyant la production (apport d’engrais et des plants, financement, etc.) et la commercialisation. Cette stratégie gagnante-gagnante permet à Sifca de s’approvisionner de manière compétitive et aux agriculteurs de moderniser leurs pratiques et de tirer des revenus plus importants.
De nombreux projets agricoles se sont révélés être des éléphants blancs, ne traitant qu’une partie des problèmes.
Les projets agricoles intégrés réussissent là où tant d’autres programmes échouent en Afrique pour quatre raisons principales.
Ensemble des étapes
Tout d’abord, les projets ciblent l’ensemble des blocages des filières. De nombreux projets agricoles se sont révélés être des éléphants blancs, ne traitant qu’une partie des problèmes. L’usine d’amidon ghanéenne d’Ayensu, construit par l’Etat en 2002, a ainsi dû arrêter sa production, n’arrivant pas à s’approvisionner en manioc faute d’avoir appuyé le développement de la production. Les projets comme ceux de Sifca veillent à structurer l’ensemble des étapes de la filière, de manière coordonnée.
Deuxièmement, les projets répondent aux attentes des populations et respectent l’environnement. « Pas d’agro-industrie durable sans plantations villageoises » disait Bertrand Vignes de SIFCA. Le temps des projets à grande échelle qui n’ont pas de composante villageoise forte ou ne respectant pas l’environnement est révolu. Les difficultés rencontrées par Herakles au Cameroun (projet industriel de 80’000 ha d’huile de palme) sont symptomatiques d’un changement d’époque. Les projets intégrant les petits agriculteurs et respectueux de l’environnement seuls peuvent obtenir la « licence sociale » pour opérer.
Grande échelle
Troisièmement, les projets sont menés à grande échelle. Les investissements dans le secteur agricole peuvent être lourds avec des coûts fixes importants (construction de pistes rurales pour désenclaver une zone, mise en place d’une chaîne d’approvisionnement d’engrais). Les projets intégrés, à grande échelle, bénéficient d’effet d’échelle et permettent l’amortissement de ces investissements.
Enfin, les promoteurs des projets voient à long-terme et visent une soutenabilité financière. Trop de projets portés par les Etats (subventionnement d’engrais, tentatives de réplication de la ferme béninoise modèle Songhaï) échouent faute d’un modèle financier robuste. Les projets intégrés réussissent car ils sont conçus dès le début par les acteurs privés avec l’objectif d’être pérennes.
Trop de projets portés par les Etats échouent faute d’un modèle financier robuste
Les agro-industriels et les Etats commencent à saisir la pertinence de tels programmes intégrés. Le programme GRAINE, lancé fin 2015 par le Groupe Olam et le Gabon, est un exemple remarquable. 70 000 hectares de cultures vivrières et d’exportations doivent être développés en cinq ans en mettant en place un programme d’appui complet pour plus de 20 000 petits exploitants. Les débuts sont prometteurs : plus de 14000 gabonais inscrits et 3000 hectares exploités. Ce partenariat public-privé unique en son genre est gagnant-gagnant, Olam développant ses capacités d’approvisionnement de manière responsable, l’Etat du Gabon assurant le développement de son secteur agricole. Il montre la voie à suivre.
En mettant en œuvre ces modèles, il est possible d’assurer une véritable révolution verte en Afrique, réconciliant performances économique, sociale et environnementale. D’après la BAD, l’Asie de l’Est a réussi à sortir 400 millions de personnes de la pauvreté en 10 ans en investissant dans l’agriculture. L’Afrique peut faire de même, maintenant, sans tarder. Citons un de nos clients qui développe des plantations en Afrique : « Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a 20 ans, le deuxième meilleur moment est maintenant ».
Okan Consulting conseille certaines des entreprises citées dans cet article.
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