Décryptage : 3 clés pour comprendre la démocratie nigériane
Prévues en février 2015, les élections générales nigérianes approchent à grands pas. Complexe, le système politique qui régit la démocratie dans le pays est peu connu en Afrique francophone. Explications.
En février 2015, le Nigeria organisera ses élections générales (présidentielle et législatives). Goodluck Jonathan, qui dirige le pays depuis mai 2010, sera candidat à sa propre succession au nom du PDP, le Parti démocratique populaire. Face à lui, le principal parti d’opposition, le Congrès progressiste (APC), a désigné le 11 décembre l’ancien dictateur Muhammadu Buhari pour le représenter. Âgé de 71 ans, celui-ci a remporté les primaires du parti avec 3 430 voix, loin devant l’ancien vice-président Atiku Abubakar, 68 ans. Voici les clés pour comprendre les enjeux d’un scrutin qui s’annonce à hauts risques, dans un contexte sécuritaire et politique particulièrement tendu.
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Un système fédéral à l’américaine
Le Nigeria est doté depuis 1999 d’un régime présidentiel et fédéral inspiré du modèle américain, un système très peu répandu dans le monde francophone où il est en général mal compris. La République fédérale compte 36 États, auxquels s’ajoute le territoire de la capitale fédérale, Abuja, pour lequel la Constitution prévoit un statut particulier. Chaque État dispose de ses propres organes exécutif, législatif (Chambre de l’Assemblée) et judiciaire.
Le président de la République est élu pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. Il est à la fois à la fois chef d’État et du gouvernement. Pour être déclaré vainqueur de l’élection, le candidat doit remporter au moins 25% des voix dans deux tiers des 36 États.
La Chambre des représentants (360 sièges) et le Sénat (109 sièges, dont 3 pour chaque État et 1 pour le territoire de la capitale fédérale) sont élus pour quatre ans au scrutin majoritaire uninominal direct. Les deux forment l’"Assemblée nationale" et disposent d’un pouvoir étendu de contrôle sur l’administration, en particulier le Sénat dont l’accord est requis pour les nominations des membres du gouvernement et de personnalités aux emplois et fonctions les plus importantes proposées par le président de la République. L’élection des députés et des sénateurs est donc tout aussi importante que celle du chef de l’État. C’est l’un des aspects de la "séparation des pouvoirs" à l’anglo-saxonne : le principe du "check and balance".
Une alternance tacite Nord-Sud
Afin d’apaiser les conflits entre musulmans du Nord et chrétiens du Sud, les politiciens nigérians ont appliqué jusqu’à l’élection de Goodluck Jonathan en 2011 une règle non écrite reposant sur une alternance entre le Nord et le Sud à la tête de l’État fédéral. Chrétien du Sud, Olusegun Obasanjo avait effectué deux mandats consécutifs (1999-2007). Son parti, le PDP, le plus puissant du Nigeria, avait donc désigné pour lui succéder un musulman du Nord, Umaru Yar Adua, qui devait en conséquence effectuer deux mandats et laisser la place à un chrétien du Sud. Mais Umaru Yar Adua est mort en 2010, un an avant la fin de son premier mandat. Le vice-président, Goodluck Jonathan, a alors pris sa succession avant d’être élu en 2011 avec le soutien d’Olusegun Obasanjo qui appuie désormais Buhari.
>> Lire aussi : L’ex-président Obasanjo poursuivi après avoir publié un livre critique envers Goodluck Jonathan
En briguant un second mandat en 2015, le président nigérian rompt donc l’accord tacit d’alternance Nord-Sud. Un risque de destabilisation, selon International crisis group (ICG), qui souligne dans son rapport la volonté des responsables politiques du nord de reprendre coûte que coûte la présidence, la violence des discours politiques et les relations hostiles du PDP et de l’APC.
Des élections marquées par la violence et la corruption
Au-delà du débat actuel sur l’alternance Nord-Sud, les élections nigérianes ont souvent été marquées par des épisodes de violence depuis la fin des dictatures militaires et le retour de la démocratie en 1999. Depuis cette date, trois élections ont été organisées : en 2003, 2007 et 2011. Elles ont toutes été le théâtre de fortes violences, celles de 1999 ayant été la moins problématique.
>> Lire aussi : ICG tire la sonnette d’alarme au sujet des violences politiques
En 2011, la campagne électorale avait été marquée par des formes inédites de terreur politique. Immédiatement après le scrutin présidentiel du 16 avril, certaines zones du nord du Nigeria s’étaient embrasées pendant trois jours, faisant plusieurs centaines de victimes.
Mais la violence électorale n’est pas étrangère à l’autre fléau qui gangrène le système politique nigérian : la corruption. "Les élections présidentielles depuis 1998, de même que les élections législatives et celles des gouverneurs, ont été systématiquement entachées de multiples irrégularités qui ne permettent pas aux responsables politiques nigérians de capitaliser sur la légitimité des scrutins qui les ont portés au pouvoir", note un rapport parlementaire français datant de 2009.
Pour l’ancien président Olusegun Obasanjo (77 ans), la présidence de Goodluck Jonathan a aggravé les choses. C’est l’une des accusations proférées dans son livre autobiographique publié en novembre, "My Watch". "Si dans le passé, la corruption était dans les couloirs du pouvoir, elle semble maintenant être dans le salon, dans la salle à manger et la chambre à coucher du pouvoir (…) Si ce qu’on appelle la ‘corruption’ est voler, alors le gouvernement a, sous la présidence de Goodluck Jonathan, légalisé et protégé le vol", estime-t-il.
Obasanjo affirme même que "lors des élections de 2011, des sommes importantes d’argents ont été distribuées aux leaders politiques de l’opposition des États de Lagos et de Ondo pour s’assurer un vote favorable au président".
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Par Vincent DUHEM
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