« Timbuktu » : Abel Jafri, un jihadiste amoureux

Fils d’un Algérien et d’une Tunisienne, le comédien Abel Jafri incarne un fondamentaliste complexe dans « Timbuktu », le film d’Abderrahmane Sissako remarqué lors du Festival de Cannes.

Au centre, le chef islamiste Abdelkrim, incarné par Abel Jafri. © Les films du Worso/Dune vision

Au centre, le chef islamiste Abdelkrim, incarné par Abel Jafri. © Les films du Worso/Dune vision

Renaud de Rochebrune

Publié le 10 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Dans Timbuktu, le superbe film d’Abderrahmane Sissako évoquant le drame vécu par la population de Tombouctou et de ses environs lors de l’occupation islamiste, Abel Jafri joue le rôle d’Abdelkrim, un chef jihadiste. L’histoire se déroule dans le désert et elle a été tournée en Mauritanie, à la frontière du Mali.

Un retour aux origines pour ce fils d’un Algérien né dans le Sud saharien, à Aoulef, entre In Salah et Tamanrasset ? "Pas du tout, répond Abel Jafri. Je suis arrivé en France au milieu des années 1960 quand j’avais à peine 3 mois. Je venais de Tunisie, pays de ma mère, qui a aussi une lointaine ascendance italienne, du temps où les immigrés pouvaient venir des régions pauvres de la péninsule pour s’installer en Afrique, à une demi-heure de bateau. Mes racines sont en France, mon bled, c’est la Bourgogne, avec ses vaches et ses pissenlits… Mon père travaillait au Creusot, dans les fonderies de l’usine Schneider. Ensuite, quand il est devenu employé municipal en région parisienne, j’ai vécu à Aubervilliers, dans le 93 (Seine-Saint-Denis)."

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Abel Jafri reste néanmoins lié aux pays de ses parents, où il se rend souvent et où il a plusieurs fois travaillé. À Biskra, en Algérie, il vient d’ailleurs de participer au tournage du nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmèche, prévu pour l’an prochain : Histoire de Judas Iscariote, d’après le nom de l’un des 12 apôtres de Jésus.

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Une place au théâtre, puis  au cinéma

A priori, Jafri n’avait pas une vocation de comédien. Mais à Aubervilliers, dont le maire était Jack Ralite, futur ministre de la Santé de Mitterrand, on privilégiait autant le théâtre et les arts que le sport. Ainsi, sans s’imaginer poursuivre dans cette voie, Abel Jafri a commencé à fréquenter les planches des maisons de quartier vers 18 ans. Remarqué par un professionnel, il s’est entendu dire qu’il pourrait "faire la même chose, mais en étant payé" et il a franchi le pas, assurant ses arrières avec de petits boulots. Jusqu’à se faire une place au théâtre, puis au cinéma. Et pas seulement dans l’Hexagone, puisqu’il s’est retrouvé en 2004 à l’affiche du très médiatisé et très controversé long-métrage de Mel Gibson, La Passion du Christ.

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Sissako, qui l’avait rencontré dans des festivals et avait noté ses performances d’acteur, est venu le chercher pour jouer dans Timbuktu, dont il venait d’achever le scénario. "Une histoire et un rôle qui m’ont tout de suite séduit", dit le comédien, ravi d’avoir incarné, en essayant de l’humaniser, un jihadiste manipulateur et cruel, mais aussi sentimental et amoureux.

Ce d’autant que le tournage n’était pas banal : "On était protégés par les soldats de l’armée mauritanienne, qui ne cachaient pas leurs mitraillettes, et si on ne tournait pas au Mali, où avaient lieu les combats, on était à la frontière. Or, au Sahara, il n’y a pas vraiment de frontière…" Dans la petite ville de Oualata où elle séjournait, l’équipe du film était loin de tout et devait vivre sans confort : pas de lumière, peu d’eau tous les jours, des couchages rudimentaires…

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Pas indifférent aux conditions de vie des jeunes locaux, Abel Jafri a décidé d’entraîner les 8-12 ans au football. À une condition : qu’ils collectent, avant de jouer, les plastiques pullulant dans ce paysage magnifique au point de mettre en danger la vie des dromadaires et des chèvres qui les mangent. Le comédien est ainsi devenu le metteur en scène d’une longue séquence du film, étonnante et drôle, où se déroule dans le désert un match de foot très disputé… mais sans ballon. De quoi lui donner l’envie de réaliser son propre film, un jour ? Abel Jafri ne cache pas qu’il y songe.

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