Roland Adjovi : « La compréhension des droits de l’Homme est une lutte au quotidien »

Il y a 25 ans, en novembre 1991, était créé le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. Depuis, celui-ci a rendu des milliers d’avis. Certains sont restés célèbres en contribuant à la libération de détenus tels Karim Wade ou Michel Thierry Atangana. Le juriste béninois Roland Adjovi, son président, dresse le bilan de ce quart de siècle.

Roland Adjovi, le 12 juillet 2014. © Dagan Rossini/African Peacebuilding Network/Flickr

Roland Adjovi, le 12 juillet 2014. © Dagan Rossini/African Peacebuilding Network/Flickr

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 1 décembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire vient de fêter ses 25 ans. Quel bilan tirez-vous à l’occasion de cet anniversaire ?

Roland Adjovi : Il faut d’abord savoir que le groupe de travail a deux mandats. Le premier, c’est de visiter les pays et de faire des recommandations aux États pour empêcher la détention arbitraire. À ce jour, nous avons visité une quarantaine de pays dans le monde, dont moins d’une dizaine en Afrique, ce qui est très peu en 25 ans.

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La plupart du temps, les États ne nous laissent pas venir sur place. C’est le point négatif. Quant au second mandat, il concerne les requêtes individuelles, c’est à dire les individus qui se plaignent d’être arbitrairement détenus. Nous rendons entre 50 et 60 décisions chaque année. Mais seuls 30%, au maximum, sont mises en oeuvre par les États et aboutissent à une libération. Là non plus, ce n’est pas suffisant.

En Afrique, le système judiciaire est moins ouvert au droit international.

Ces difficultés sont-elles particulièrement présentes sur le continent africain ?

Oui. Pour une raison simple : la compréhension du système international de protection des droits de l’Homme y est moins avancée et le système judiciaire y est moins ouvert au droit international. De plus, la justice n’est pas toujours indépendante et est souvent à la botte de l’exécutif. Cela rend la mise en oeuvre de nos décisions beaucoup plus compliquée.

Mais il y a tout de même des cas emblématiques, comme ceux de Thierry Michel Atangana − même si sa libération est venue d’une grâce présidentielle qui ne fait pas référence au groupe de travail − ou des leaders de la Lucha en RD Congo.

Dans le dossier Atangana, la libération tient davantage de la politique et de la diplomatie que du juridique. N’est-ce pas décourageant pour un juriste ?

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Non, ce n’est pas décourageant. Les droits de l’Homme sont un processus. Leur compréhension n’est pas acquise partout. C’est une lutte au quotidien, dans laquelle il faut saluer chaque progrès. Quand une personne est libérée, quelque soit le processus, c’est une victoire pour nous.

Un jeune politicien camerounais a été récemment libéré suite à un de nos avis et a obtenu des réparations pour avoir été détenu arbitrairement. Si nous nous étions découragés, nous n’aurions jamais traité son cas. Cela s’améliore, à tout petit pas certes, mais cela s’améliore.

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Comment décririez-vous l’évolution de vos relations avec les États depuis 25 ans ?

Je dirais qu’il y a trois étapes. En 1991, on était à la fin de la guerre froide et nos relations étaient très timorées. Le groupe de travail était un nouveau mécanisme avec lequel les États ne savaient pas comment se comporter. Cela a évolué, vers la fin des années 90, lorsque les États ont commencé à jouer le jeu, même si, la plupart du temps, ils ne nous autorisaient pas les visites.

Puis, il y a le 11 septembre 2001. Depuis les attentats de New York, les États se sont de plus en plus engagés dans des pratiques contraires aux droits de l’Homme. Avant, on avait beaucoup de prisonniers d’opinion. Mais aujourd’hui, la majorité des dossiers que nous traitons sont liés à une prétendue lutte contre le terrorisme. Beaucoup d’autres concernent également aujourd’hui la détention de migrants, dans des pays comme la Grèce, Malte, les États-Unis…

Enfin, tout récemment, il faut noter que les politiques populistes de certains États, qui voudraient s’affranchir des instances internationales, nous gênent vraiment dans l’application du droit.

Au niveau de l’Afrique, quels sont les types de violation que l’on rencontre le plus souvent ?

En Afrique, ce sont le plus souvent des manquements à l’État de droit : des individus sont arrêtés par pur abus de pouvoir. Ce n’est pas encore le terrorisme qui y entraîne la détention arbitraire, c’est avant tout le fait de vouloir limiter la liberté de s’exprimer.

Vous avez parlé plus haut de succès au Cameroun. Du côté des échecs en revanche, quel est celui qui vous reste en mémoire ?

J’imagine que l’on peut parler du dossier de Seif el-Islam Kadhafi sur lequel nous avons rendu un avis en novembre 2013 en déclarant que sa détention à Zintan était arbitraire. Dans son cas, les dernières nouvelles ne sont pas très claires et on ne sait pas s’il a été libéré ou non. Mais, au-delà de ce cas emblématique, il y a en réalité encore 70%, au minimum, des personnes ayant fait l’objet d’une dénonciation de détention arbitraire qui n’ont pas été libérées. Bien sûr, beaucoup de ces avis non suivis nous restent en travers de la gorge.

Avec le cas de Karim Wade, finalement libéré, le groupe de travail a acquis une certaine notoriété en Afrique. Est-ce une bonne chose, ou un frein dans votre relation avec les États ?

La notoriété du groupe n’est pas un problème, sauf au niveau du volume d’affaires que nous prenons en charge. Il y a un fort  accroissement du nombre de plaintes individuelles. Cela ne veut pas dire que la situation empire, mais davantage de personnes connaissent notre travail aujourd’hui.

Cela veut surtout dire que l’on a besoin d’une plus grande équipe et de plus de moyens. Le Conseil des droits de l’Homme nous a d’ailleurs octroyé davantage de ressources en septembre dernier.

Quelle vision avez-vous des récents retraits burundais, sud-africains et gambiens de la Cour pénale internationale ?

Il faut être clair : le retrait sert avant tout l’intérêt des leaders politiques africains, pas celui des peuples. La campagne qui est faite autour de ces retraits, pour convaincre les peuples que la CPI est contre l’Afrique, est inique.

On peut adresser des critiques à la Cour et s’étonner qu’il n’y ait que des affaires africaines. Mais la solution n’est pas dans le retrait. Elle est dans le fait de mettre la pression sur la Cour afin qu’elle poursuive des individus partout où il le faut et partout où un État parti ne peut appliquer le droit international lui-même.

On taxe la CPI d’impérialisme. Avez-vous déjà fait face à de telles critiques ?

Nos décisions portent sur tous les pays du monde. Récemment, nous avons rendu des avis sur la Chine, l’irak, l’Iran, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande, la Birmanie et, évidemment, certains pays africains. Donc, non, nous ne faisons pas face à ce genre de critiques.

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