Tunisie : le combat de la société civile pour un autre regard sur le handicap
En Tunisie, la société civile n’a pas attendu le 3 décembre – journée internationale du handicap – pour faire entendre sa voix. Et, surtout, celles de milliers de personnes handicapées qui se sentent mises à l’écart et qui entendent bien changer les choses.
« La lutte contre l’exclusion des personnes à besoins spécifiques est une responsabilité nationale », a déclaré le 29 novembre Aïd Trabelsi, chef du cabinet du ministère tunisien des Affaires sociales, lors d’une conférence arabe sur les « droits des personnes handicapées dans le cadre des objectifs de développement durable 2030. »
Malgré la bonne volonté récente des autorités, ce sont surtout des organisations locales et des citoyens tunisiens qui prennent depuis quelques années les choses en main pour briser les clichés, faire appliquer la loi et exiger une meilleure inclusion des personnes handicapées. Parmi eux, Arbi Chouikh, 25 ans, primé fin novembre au Quai d’Orsay pour ses activités au sein de la société civile.
« Des citoyens comme les autres »
Ingénieur en informatique, membre de l’Organisation tunisienne de défense des droits des personnes handicapées (OTDDPH) et coordinateur technique de l’association « Une ville pour tous », Arbi Chouikh est le premier lauréat de la bourse Denis Pietton (d’une valeur de 10 000 euros), attribuée dans le cadre du programme français SafirLab – un « accélérateur » d’innovation sociale pour des jeunes d’Afrique du nord et du Moyen-Orient.
Jeudi 17/11/2016 restera grâvé dans la mémoire, merci Mr. @jeanmarcayrault merci @MVidalMarin @CFImedias @IFParis @LaNetscouade #SafirLab pic.twitter.com/kOgRp8UoxZ
— Arbi Chouikh (@ArbiChouikh) November 18, 2016
Le jeune Tunisien, qui a perdu l’usage de ses jambes à la naissance, a reçu ce prix pour son projet d’application web « Nafedh » (« accès », en arabe), une plateforme cartographique pour renseigner tous les citoyens sur le niveau d’accessibilité – via des codes couleurs, des photos et des hashtags – des lieux publics.
« Depuis ce prix, les gens expriment plus d’intérêt pour mon projet et, plus largement, pour la situation des personnes handicapées en Tunisie. Je veux que les gens en parlent, parce que ça devrait concerner tout le monde. Les personnes handicapées sont des citoyens comme les autres ! », explique Arbi Chouikh à Jeune Afrique, rappelant que l’accessibilité est un « principe fondamental et transversal » qui n’est pas encore assez bien respecté et appliqué. Pour y remédier, il appelle notamment à une meilleure consultation des personnes handicapées, principales concernées.
Après deux semaines de rencontres professionnelles, de formations et d’ateliers à Paris àl’occasion de la remise de son prix par Jean-Marc Ayrault, ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, Arbi Chouikh indiquait que son application est en phase de conception et qu’il espère la rendre effective d’ici fin 2017. De retour à Tunis, il a également reçu les félicitations du ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi.
Éliminer les barrières physiques et mentales
Au-delà de l’élimination des barrières physiques, Arbi Chouikh et les organisations qu’il représente entendent aussi s’attaquer aux mentalités, trop souvent marquées par « une image stéréotypée fondée sur l’apitoiement », comme le déplore Yousri Mzati, président de l’OTDDPH. Arbi Chouikh avance aussi la sempiternelle « peur de la différence » (« nous ne sommes pourtant pas des extra-terrestres ! ») ainsi que le rôle des médias, qui se doivent d’évoquer d’avantage le handicap et ses histoires positives, comme lors des Jeux paralympiques de Rio.
Certaines personnes se mettent aussi elles-mêmes des bâtons dans les roues, observe le jeune homme. « Certains ont du mal à accepter leur handicap et restent renfermés sur eux-mêmes, même si les choses changent. Or c’est en s’acceptant comme on est qu’on arrivera à effacer la différence aux yeux des autres. »
Sur la bonne voie
Concernant les infrastructures et espaces adaptés aux personnes à mobilité réduite, beaucoup reste encore à faire en Tunisie. « Il existe parfois des rampes d’accès, mais avec une marche juste devant ! » ironise Arbi Chouikh. Par ailleurs, « le ministère des Affaires sociales [chargé des problématiques liées aux personnes handicapées] n’est lui-même pas actuellement accessible aux personnes en fauteuil roulant… Et puis à quoi ça sert de bénéficier d’une gratuité pour les transports et pour des événements culturels si on ne peut pas y accéder ? » A contrario, certains endroits, comme une plage spécialement aménagée à Gammarth, restent méconnus. D’où l’intérêt de l’application « Nafedh ».
Les choses évoluent progressivement. Avec par exemple la création, à la fin 2015, d’une de Radio ML (fréquence 93.4 FM) qui « donne en priorité la parole aux handicapés. » Ou encore l’adoption, le 3 mai 2016, d’un projet de loi prévoyant une meilleure accessibilité du lieu de travail pour les personnes handicapées et fixant le taux obligatoire d’emploi des personnes handicapées à 2% (selon la taille des sociétés).
Pour les élections municipales, prévues fin 2017, au moins une personne handicapée devra figurer sur chaque liste électorale du pays. En espérant que tous les Tunisiens pourront accéder ensuite aux bureaux de vote.
Article 48 de la Constitution tunisienne : L’État protège les personnes handicapées de toute discrimination. Tout citoyen handicapé a le droit de bénéficier, selon la nature de son handicap, de toutes les mesures qui lui garantissent une pleine intégration dans la société. L’Etat se doit de prendre toutes les mesures nécessaires à la réalisation de cela.
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