État palestinien : comment la France a (presque) dit oui…

Après leurs homologues britanniques, irlandais et espagnols, les députés français ont à leur tour invité leur gouvernement  à reconnaître l’État de Palestine. Mieux vaut tard que jamais…

Les députés français applaudissent le résultat du vote. © MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP

Les députés français applaudissent le résultat du vote. © MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 12 décembre 2014 Lecture : 6 minutes.

"Mais où sont les déserteurs ?" tempête un membre de l’opposition à la droite de l’hémicycle, fustigeant l’absence du Premier ministre et de son ministre des Affaires étrangères, les deux membres du gouvernement les plus concernés par le vote très polémique, à l’Assemblée nationale française, ce 2 décembre, de la résolution du Parti socialiste (PS) appelant le gouvernement à reconnaître l’État de Palestine. Rappel à l’ordre du président du Parlement : "Faites attention aux expressions employées !"

La question, des plus délicates, déchaîne les passions au coeur de Paris comme dans un Proche-Orient dont les soubresauts n’ont jamais paru aussi sensibles. "Si Valls et Fabius n’étaient pas là, c’est parce qu’ils savent que ce vote n’est peut-être pas une bonne chose, explique Bernard Debré, député UMP qui a participé aux réunions de son groupe sur la question et a voté contre. C’est un sujet fondamental, et le gouvernement aurait dû être là, se faire entendre et prendre position en disant que ce n’était pas le moment."

la suite après cette publicité

Revendiquant sa liberté de ton, Pouria Amirshahi, le député socialiste des Français établis en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest qui s’est au contraire battu pour l’adoption de la résolution, précise : "Valls a été silencieux, mais je sais qu’au fond il n’était pas très favorable. Hollande non plus, mais face à cette dynamique politique, il n’a pas cherché le bras de fer, préférant rassurer Netanyahou en lui assurant en off que ce n’était pas la position de l’État. Fabius était plutôt pour, même s’il n’a pas dû goûter que l’on empiète sur ses plates-bandes diplomatiques.

C’est sans doute lui qui a su convaincre l’exécutif que nous avions déjà gagné." Vers 16 h 45, le vote express donne la majorité absolue au "oui", par 339 voix pour, 151 contre et 16 abstentions. Tandis qu’à droite les plus favorables à Israël crient à la reconnaissance du terrorisme, une salve d’applaudissements salue la victoire sur les bancs du PS, des Verts et du Front de gauche, qui avaient déposé le texte de la résolution le 20 novembre à l’Assemblée.

Après les Parlements britannique, irlandais et espagnol, les députés français ont à leur tour invité leur gouvernement "à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit". La résolution n’est pas contraignante, et la France ne reconnaît toujours pas officiellement la Palestine, contrairement à la Suède, premier grand pays européen à l’avoir fait le 30 octobre et dont, coïncidence d’une visite royale, le drapeau flotte devant le palais Bourbon ce jour-là.

Reconnaître la Palestine pour récupérer l’électorat des banlieues ?

la suite après cette publicité

Pouria Amirshahi explique la genèse d’une initiative où il a joué un rôle important : "En 2012, je me suis engagé avec d’autres en faveur de la reconnaissance de la Palestine comme État observateur de l’ONU. Puis l’enjeu a été de passer au statut de "membre de droit". L’audace des Suédois et l’engagement des parlementaires britanniques ont donné de l’élan à cette ambition et nous avons, avec plusieurs députés socialistes mais aussi d’autres bords de gauche et de droite, envisagé une initiative parlementaire française."

À gauche, 323 suffrages ont appuyé la résolution pour 5 abstentions et 1 voix contre ; à droite, 136 députés de l’UMP se sont opposés à la résolution, mais 9 se sont prononcés pour et 4 autres se sont abstenus, comme les deux députés d’extrême droite, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard. Avec 14 voix contre, 4 voix pour et 4 abstentions, le centre est logiquement tiraillé entre les deux tendances : la répartition des suffrages suit les lignes de fracture du paysage politique français.

la suite après cette publicité

Mais elle semble aussi indiquer que les perceptions françaises du problème israélo-palestinien rejoignent les clivages de la scène israélienne entre une gauche qui continue d’appuyer la voie des négociations pour parvenir à mettre en oeuvre la solution des deux États et une droite qui se radicalise et refuse de parler avec l’Autorité palestinienne, mise dans le même sac que le Hamas, dénoncé comme terroriste. Certes, la grande majorité des députés de droite ne confond pas grossièrement, comme l’a fait Nadine Morano le 28 novembre, l’État islamique et "les membres du Jihad islamique, donc les partenaires du Hamas" qui "décapitent les Occidentaux", aidée par la déclaration du Premier ministre israélien qui se demandait quelques jours avant : "C’est tout ce qu’ils ont à faire en ce moment en France, alors qu’on décapite des gens à travers le Proche-Orient, y compris un citoyen français ?"

Mais la teinte religieuse et radicale du mouvement a fait pencher la balance dans les rangs de l’UMP, explique Debré : "Certains voulaient voter la résolution pour faire pression sur Israël et accélérer la paix, mais le grand argument a été de dire que le gros de l’État palestinien, représenté par le Hamas, maître à Gaza, ne reconnaît pas Israël. Cela a déterminé la position de beaucoup d’entre nous." L’époque semble bien lointaine quand, en 1967, le président de Gaulle qualifiait les Juifs de "peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur" et où son opposant Pierre Mendès France rappelait que les "vrais amis d’Israël sont les hommes de gauche".

>> Lire aussi : "Diplomatie : pourquoi et comment (presque) toute l’Afrique reconnaît l’État palestinien"

"Y a-t-il une doctrine gaulliste qui ait résisté au temps ? s’interroge Debré. L’époque et la politique étaient bien différentes, il faut oublier ce schéma. Nous voulons, comme nos adversaires, qu’Israéliens et Palestiniens s’assoient les uns en face des autres pour parvenir à la solution des deux États, mais ce genre d’attitude n’apporte rien, et nous avons préféré voter contre que nous abstenir, l’abstention étant invisible."

Le député de droite accorde-t-il crédit aux propos rapportés par Le Canard enchaîné du socialiste Benoît Hamon, qui aurait déclaré : "Reconnaissons la Palestine pour récupérer l’électorat des banlieues et quartiers" ? "Beaucoup y voient en effet une action politicienne, mais je n’ose pas l’imaginer. Si tel était le cas, ce serait dramatique…" Amirshahi, pour sa part, ne croit pas une seconde à cette "accusation de cynisme qui relève de la campagne de dénigrement".

"Nous sommes une génération politique qui a vu la dimension meurtrière des opérations militaires israéliennes Plomb durci et Bordure protectrice en même temps que la violence et l’humiliation s’installer à Gaza, véritable prison à ciel ouvert. Dans sa propagande, Israël a perdu la bataille de l’opinion, car sa seule force – être l’un des rares régimes démocratiques de la région – s’érode chaque jour de colonisation qui passe."

François Hollande reste inaudible

Alors que le chef du gouvernement israélien a congédié ses ministres centristes et provoqué des législatives anticipées – prévues le 17 mars 2015 – qui pourraient lui permettre de former un gouvernement encore plus à droite, les gestes symboliques des Parlements d’Europe peuvent-ils faire sortir l’exécutif israélien de son autisme nationaliste ? "La position de l’Assemblée n’est pas que symbolique, réplique Amirshahi.

Elle est pleinement politique : d’une part parce qu’elle engage le peuple français au nom de qui la résolution est votée ; ensuite parce que – fait nouveau – c’est la première fois que des parlementaires s’engagent à ce point sur ce que doit être la diplomatie française." Face à cette transgressive diplomatie parlementaire, Debré, qui revendique son héritage gaullien, plaide pour une diplomatie d’en haut : "Nous avons besoin d’initiatives fortes sur ce dossier et ce n’est pas sur un coin de table à l’Assemblée que l’on va pouvoir faire quelque chose."

Peut-être donc est-ce sur la méthode que les deux camps, partisans l’un comme l’autre de la solution des deux États, s’affrontent. Mais François Hollande, le président socialiste de la République, qui pourrait, par un discours fort, rassembler après avoir fortement divisé cet été lors de la guerre de Gaza en soutenant ouvertement les Israéliens, reste hélas inaudible.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires