Ebola et sida, même combat

Michel Sidibé est le directeur exécutif de l’Onusida.

Publié le 9 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Peur, discrimination, déni : dans les années 1980, ces termes qualifiaient les sentiments inspirés par l’épidémie de VIH ; aujourd’hui, ils expriment les réactions face au virus Ebola. Preuve que trente ans plus tard, les leçons de notre lutte n’ont pas été retenues. Nous avons échoué face au VIH dans les premières années, nous reproduisons cela avec le virus Ebola, qui tue plus de 40 % des personnes infectées.

Avec Margaret Chan, directrice de l’OMS, Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence française de recherche sur le sida et les hépatites virales et coordinateur pour la France des opérations internationales et nationales de réponse à Ebola, et Mark Dybul, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, nous avons effectué une visite au Mali, notamment à la frontière avec la Guinée. J’ai eu l’impression de revivre les années 1980 et 1990, quand prévalaient la peur et l’exclusion, tandis que les compétences pour se prémunir étaient inexistantes.

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Nous aurions dû retenir ces éléments essentiels : sans leadership, du plus local au plus global, sans coordination, sans communication de proximité et d’éducation, aucune victoire n’est possible. Nous aurions apprendre cela du sida. Nous aurions également dû convaincre, enfin, que la santé est un investissement et non une dépense. L’Afrique représente 25 % du poids des malades, mais moins de 1 % des investissements dans le domaine de la santé.

Prenons la Sierra Leone, un pays qui connaissait une croissance à deux chiffres, un leadership démocratique porteur d’espoir et une réelle vision stratégique. L’inexistence de système sanitaire a anéanti les efforts accomplis, entraînant la crise sanitaire actuelle liée à Ebola, mais aussi une crise sociale et économique à haut potentiel de déstabilisation. Pour éviter un tel scénario, les États n’ont d’autre choix que de différencier défense et sécurité humaine et d’investir non seulement dans la santé, mais également dans l’éducation et l’emploi des jeunes.

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Cette épidémie est prise en charge par les ONG et les pays du Nord ayant un lien historique avec les pays affectés. Qu’ils en soient tous remerciés. Mais ils sont l’expression de l’échec du système de santé, de la globalisation et de ses mécanismes qui ne favorisent pas la réactivité. Comment expliquer à une famille que, le Fonds mondial étant spécifique à certaines maladies, son enfant est mort parce qu’il s’agissait d’Ebola et non de la tuberculose ? Aujourd’hui, face à une épidémie dévastatrice, nous avons donc négocié avec le Fonds pour obtenir un décaissement spécial.

La bonne volonté ne suffit plus. L’Afrique doit disposer d’un fonds dévolu à la santé, d’une équipe de réaction aux urgences sanitaires – avec la mise en oeuvre de zones franches sanitaires pour harmoniser la réponse – et d’une agence africaine du médicament : actuellement, seuls 2 % des médicaments consommés sur le continent sont produits localement.

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Nous devons également intégrer l’existant, ne pas mépriser le rôle primordial des communautés et des agents de santé qui, à des coûts abordables, sont en mesure de sécuriser les soins et leur accessibilité, et travailler en amont sur l’éducation pour changer les comportements. Accompagnés par un fonds de réserve continental, ces services, basés sur une action communautaire, une communication de proximité et un renforcement des capacités, permettront d’atteindre un maximum de personnes. Ebola est la démonstration de ce besoin, comme l’était le VIH.

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Il est inacceptable de voir que certains malades d’Ebola peuvent être soignés en Europe ou aux États-Unis alors que la grande majorité meurt dans l’indifférence ; inacceptable d’entendre que le Liberia dispose d’un médecin pour 90 000 habitants alors que les États-Unis en comptent un pour 400 ; inacceptable de constater qu’après quarante ans de connaissance du virus Ebola et trente-cinq ans de connaissance du VIH, l’inégalité d’accès aux soins perdure. L’architecture de la santé mondiale doit changer et prendre en compte l’Afrique, ses priorités, ses spécificités et ses compétences intrinsèques.

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