Catastrophe ferroviaire au Cameroun : où en sont les procédures judiciaires ?
Le 21 octobre, la catastrophe ferroviaire d’Eseka, au Cameroun, faisait 79 morts selon le bilan officiel. Depuis, certaines victimes se sont regroupées en collectifs visant à comprendre les causes du drame et à obtenir des indemnisations. Ils ont notamment lancé plusieurs procédures en Europe avec, en ligne de mire, les groupes Bolloré, Total et leurs potentiels assureurs.
Dans ce genre de procédures, la patience est de mise. Alors que certaines victimes des déchets toxiques du Probo Koala attendent encore les indemnisations de Trafigura en Côte d’Ivoire, nul ne saurait espérer qu’il en soit autrement dans l’affaire d’Eseka. Un mois et demi après la catastrophe ferroviaire, les procédures judiciaires ont pourtant bel et bien été lancées.
Au Cameroun
Un collectif de familles des victimes, représenté par l’avocat Guy Olivier Moteng, a déposé plainte le 2 novembre devant la justice camerounaise contre le groupe Bolloré, principal actionnaire de la société Camrail. La plainte vise le directeur général de Bolloré Railways, le directeur technique ainsi que plusieurs membres du personnel de Camrail, dont le conducteur du train.
L’objectif de cette plainte est d’obtenir l’indemnisation des familles des victimes et de mettre en lumière la chaîne de responsabilités ayant abouti à la catastrophe. Deux enquêtes ont été lancées à l’initiative de l’État camerounais. La première est menée par le parquet de la Cour d’appel, dont dépend la ville d’Eseka. La seconde est l’objet d’une commission, présidée par le Premier ministre et constituée de ministres ayant en charge les questions de sécurité.
Cette dernière devait remettre ses conclusions au chef de l’État « 30 jours » après la signature du décret présidentiel portant création de la commission, soit le 25 novembre dernier au plus tard. Depuis, aucun document ou élément n’a été communiqué aux victimes ou à leurs avocats. « J’ai bien peur que le rapport ne soit jamais publié ou que nous n’en obtenions jamais copie », confie un membre de la défense, fataliste.
En France
Au parquet de Paris. C’est le volet « périphérique » de l’affaire. Plusieurs collectifs ont décidé de porter l’affaire devant la justice française. À la suite d’une procédure de dénonciation initiée par l’un deux le 24 octobre, un magistrat a été désigné pour enquêter sur la catastrophe, au sein du pôle des accidents collectifs au parquet du Tribunal de grande instance de Paris.
Les avocats lui ont notamment transmis une liste de ressortissants français susceptibles d’être poursuivis. En l’occurrence, le collectif estime que la justice française devrait se pencher sur la gestion au Cameroun de Camrail, notamment celle de son directeur général Didier Vandenbon.
Une troisième plainte pourrait encore être déposée en France contre l’actionnaire Bolloré
Au parquet de Nanterre. Une plainte contre X a également été déposée, cette fois au parquet de Nanterre, par un autre collectif de victimes. Celle-ci vise des faits « d’homicides involontaires (…) par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité et de prudence ». Les plaignants mettent en cause « la gouvernance du secteur du transport ferroviaire par l’État du Cameroun ».
Ceux-ci veulent connaître « les conditions » dans lesquelles la Régie nationale des chemins de fer camerounais a été « privatisée », la concession « renouvelée », et « certaines obligations [mises] à la charge du concessionnaire (Camrail) manifestement méconnues », explique Me Stéphane Engueleguele. Une troisième plainte pourrait encore être déposée en France contre l’actionnaire Bolloré. Selon nos informations, celle-ci est encore à l’étude.
En Italie
À Trieste. Quel rapport entre Trieste, en Italie, et Eseka, au Cameroun ? Réponse : l’assureur Generali. Le 24 octobre, un collectif d’avocats camerounais a envoyé une requête au gouvernement italien afin que celui-ci réclame au parquet de Trieste l’ouverture d’une enquête sur la catastrophe pour « omission de porter secours ».
Les plaignants estiment que Generali, dont est client l’actionnaire principal de Camrail, le groupe Bolloré, et dont le siège social est basé à Trieste, aurait notamment dû prendre à sa charge le coût des soins aux victimes. Le gouvernement italien a répondu que son exécutif ne pouvait donner d’ordre au pouvoir judiciaire.
À Rome. En outre, Generali a fait savoir que la branche assurant chez elle les risques ferroviaires avait été vendue à des investisseurs et opérait désormais à Rome. Le collectif plaignant travaille donc actuellement à saisir les tribunaux de la capitale italienne. Cette procédure pourrait être lancée en janvier 2017. Les autorités italiennes suivent le dossier de près, via Samuela Isopi, ambassadrice au Cameroun, d’autant qu’un prêtre transalpin, Carlo Girola, a succombé dans la catastrophe.
Au Royaume-Uni
Aucune procédure proprement dite n’a pour le moment été lancée au Royaume-Uni. Mais certains avocats des victimes ont les yeux tournés vers Londres. Objectif : faire la lumière sur le système d’assurance et de « réassurance » de Camrail et du groupe Bolloré. Cet échafaudage pourrait mener du Cameroun à la capitale britannique, où bon nombre de « réassureurs » sont basés, en passant par l’Italie, siège de Generali.
Ils ont pour cela signé un protocole d’entente avec le cabinet Harding Mitchell, basé à Londres, qui a obtenu, en juin dernier, l’indemnisation de plus de 4 000 victimes du Probo Koala. L’équipe de Harding Mitchell, menée par Me Kalilou Fadiga, est chargée de remonter la piste des assureurs afin de déterminer s’il y a lieu de leur réclamer des indemnisations. Mais la route pourrait être longue.
Certes, selon la convention liant l’État camerounais à Camrail (dont Jeune Afrique a obtenu copie), cette dernière « s’engage à souscrire toutes les polices d’assurance nécessaires à couvrir l’ensemble des risques liés à l’activité ferroviaire et à fournir à l’État les attestations renseignées ». Mais aucune d’entre elles n’a encore été communiquée aux avocats, malgré les pressions exercées par courrier sur les actionnaires, dont Bolloré et Total.
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