Cinq idées reçues sur les migrants et l’immigration

À l’heure où le mythe de l’invasion de l’Europe bat son plein, un essai collectif dirigé par Cris Beauchemin et Mathieu Ichou, intitulé « Au-delà de la crise des migrants : décentrer le regard » (ed. Karthala, 2016), déconstruit nos idées reçues sur les migrants. Salvateur.

Des migrants africains sur une embarcation  de fortune au large de la Libye, le 10 septembre 2016. © Santi Palacios/AP/SIPA

Des migrants africains sur une embarcation de fortune au large de la Libye, le 10 septembre 2016. © Santi Palacios/AP/SIPA

Publié le 16 décembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Loin des discours sensationnalistes et des représentations communes dominantes en Occident, largement fantasmées, l’essai dirigé par les chercheurs de l’Institut national français d’études démographiques (Ined) Cris Beauchemin et Mathieu Ichou, invite les Européens à décentrer leur regard pour comprendre ce qui est communément appelé « la crise des réfugiés ».

  • Non, l’Europe n’est pas la terre d’accueil de tous les réfugiés, loin de là…

Les auteurs le répètent à plusieurs reprises : « il nous faut  relativiser la place de l’Europe comme terre d’accueil des réfugiés ». Contrairement à une idée reçue fortement répandue, les mouvements migratoires du Sud vers le Nord ne représentent que 3,2% de la population mondiale. Les flux de migrants Sud-Sud sont trois fois plus nombreux et concernent, eux, 740 millions de personnes (1) dans le monde.

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Durant l’année 2014-2015, l’Europe n’a « accueilli » qu’un dixième des réfugiés de la planète, un tiers des demandeurs d’asile mais elle concentre pratiquement les trois quarts des morts aux frontières, ce qui fait de la Méditerranée un immense cimetière marin. Ces données témoignent avec violence de la fermeture des frontières européennes aux migrants. Même ceux reconnus comme réfugiés par le HCR ne sont pas accueillis à bras ouverts par une partie des États membres.

« La crise des migrant » est avant tout une crise des solidarités européennes. Crise interne de solidarité en Europe entre des États qui ne sont pas parvenus à s’entendre sur un mécanisme de répartition des demandeurs d’asile. Et crise de la solidarité de l’Europe vis-à-vis  des populations issues de pays massivement producteurs de réfugiés, explique Cris Beauchemin

  • Non, les migrants ne sont pas tous pauvres

Dans l’inconscient collectif, comme les conditions d’arrivée des migrants sont précaires, ils vivent tous sans ressources, exercent des métiers peu qualifiés, et vivent mal-logés. Il faut toutefois rompre avec cette « vision misérabiliste », car la réalité est beaucoup plus nuancée.

Les migrants constituent une population très diverse et les conditions de vie précaire de certains quand ils arrivent en Europe sont rarement un bon indicateur de leurs ressources, de leur niveau d’éducation, de leurs compétences et de leurs aspirations, écrit Mathieu Ichou

Ainsi, 85% des immigrés issus de la RD Congo nés en 1970 et résidant en France sont plus éduqués que les Congolais qui n’ont jamais émigré – seuls 14% de ces derniers ont poursuivi des études après le lycée (2). La plupart des migrants sont ainsi bien plus éduqués que la moyenne dans leur pays d’origine.

En fait, l’instabilité politique et les guerres civiles poussent d’abord ceux qui ont les moyens de partir – généralement les intellectuels et les personnes les plus éduquées – sur le chemin de l’exil, comme ce qui s’est passé en Algérie dans les années 1990.

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  • Non, l’immigration n’est pas toujours définitive

On pense souvent que les personnes immigrées s’installent durablement dans le pays d’accueil, mais cette idée s’avère être en grande partie fausse. En réalité, de nombreux pays européens « invisibilisent » les mouvements de départ, comme l’atteste le manque de données sur les sorties du territoire, pour, au contraire, accentuer le phénomène d’arrivée des migrants.

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Mais, d’après une étude conduite par l’OCDE (3): 20% à 50% des immigrés présents en Europe repartiraient les cinq années suivant leur arrivée. Une nouvelle migration qui se fait soit vers le pays d’origine (dite « migration de retour »), soit vers une autre destination.

  • Des pays d’émigration deviennent des pays d’immigration… pour les Européens !

Les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila où s’arriment des barques surpeuplées de Subsahariens nous ont longtemps fait croire que le Maroc n’était qu’une zone de transit. Mais en réalité, les migrations Sud-Sud, déjà majoritaires, s’accroissent très sensiblement. Et les migrations du Nord vers le Sud aussi !

Autrefois terre d’émigration vers l’Europe, le Maroc est devenu aujourd’hui une destination d’immigration. L’attractivité économique du pays, sa proximité avec l’Europe et sa stabilité politique attirent même de nombreux Occidentaux – les Européens représentent 49% (4) des résidents étrangers. Bref, ces chiffres tranchent avec nos représentations binaires : les migrations ne sont pas des flux incessants des pays du Sud vers le Nord…

  • Non, le contrôle des frontières ne résoudra rien

Les politiques de fermeture aux frontières sont devenus des enjeux récurrents du débat public. Les entraves à l’immigration s’accumulent lors des demandes de visa ou de titre de séjour qui sont régulièrement refusées par l’administration. Des contrôles policiers, à l’intérieur des pays membres de la zone euro, comme sur les frontières communes, criminalisent les migrants en situation d’irrégularité. Mathieu Ichou et Cris Beauchemin concluent l’essai par ces mots :

L’efficacité du contrôle des frontières semble pour le moins douteuse (…). De multiples études concluent à un écart croissant entre les objectifs des politiques menées et les résultats atteints, quels que soient les pays de destination considérés. Et le coût de ces politiques n’est pas seulement économique, il est aussi moral, social et politique.

De fait, les dispositifs de contrôle aux frontières ne dissuadent pas les migrants de venir – mais ils permettent à une économie souterraine de prospérer, dans laquelle des passeurs font fortune. Ces politiques de restrictions ont même un effet inattendu : comme les coûts d’immigration deviennent un investissement conséquent, beaucoup de migrants finissent désormais par s’installer définitivement ou plus longtemps que prévu dans leurs pays de destination…

(1) UN international migration report 2015.

(2)  Tableau 1 « niveau d’éducation relatif des immigrés en France », Au-delà de la crise des migrants: décentrer le regard, (chapitre 3).

(3) OCDE, Perspectives des migrations internationales. Rapport annuel 2008, Paris, OCDE publication, 2008.

(4)  Integrated Public Use Microdata Series, International: Version 6.4, Minneapolis, University of Minnesota, 2015

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