L’afro-optimisme est partagé par les patrons marocains et français
L’Afrique est très clairement devenue la « nouvelle frontière » en ce début de XXIe siècle. Les grandes puissances internationales et les nouveaux émergents qui s’aventurent depuis peu sur le continent ne s’y sont pas trompés et commencent à « investir » l’Afrique, à grande vitesse et avec méthode.
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Jean-Michel Huet
Jean-Michel Huet est directeur associé chez BearingPoint, cabinet européen de conseil en management et technologie.
Publié le 8 décembre 2016 Lecture : 4 minutes.
Les chiffres des apports financiers extérieurs sont de ce point de vue éloquents puisqu’ils ont presque doublé en dix ans, passant de 125, 5 milliards de dollars en moyenne sur la période 2004-2008 à 226, 5 milliards de dollars en 2016, selon l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).
Les raisons de cet engouement africain sont connues et validées : une croissance robuste à plus de 5 % en moyenne depuis le début des années 2000, l’émergence d’une nouvelle classe moyenne consommatrice qui comprend entre 150 et 300 millions de personnes selon les modes de calculs, le boom de certaines industries comme les télécoms, les investissements massifs dans les infrastructures…
Certes, le secteur extractif a été l’un des moteurs de ce dynamisme mais la chute brutale des cours des matières premières démontre que les économies africaines sont aussi endogènes. Si le taux de croissance consolidé de l’Afrique subsaharienne passe de 6,6 % en 2010 à 3 % en 2016, selon le Fonds monétaire international, il est important de relever que les pays non exportateurs de pétrole et de minerais font mieux que résister avec une croissance quasi-linéaire.
Dans ce contexte porteur, les entreprises françaises disposaient d’un temps d’avance, notamment dans les pays francophones. Contrairement aux idées reçues, ce temps d’avance a été optimisé. Certes les parts de marché françaises en Afrique subsaharienne ont été divisées par deux en dix ans, de 7% en 2005 à 4% en 2015, mais les volumes ont augmenté à 12,2 milliards d’euros pour les exportations et 9,8 milliards d’euros pour les importations en 2015.
Offensive économique royale
La troisième édition du baromètre du développement international de BearingPoint « Se développer en Afrique : regards croisés d’entreprises marocaines et françaises », réalisée avec l’Association marocaine des exportateurs (Asmex) et qui vient d’être rendue publique, confirme cette tendance. Il y a cinq ans, l’Afrique représentait moins de 5 % du chiffre d’affaires pour 49 % des entreprises françaises interrogées. Elles ne seront que 14 % dans ce cas en 2020. En dix ans, la part de l’Afrique dans le chiffre d’affaires global du panel va augmenter de 75 %.
Si les intérêts tricolores sont concurrencés par les États-Unis, la Chine, la Turquie, le Brésil…, ils le sont aussi par le Maroc. Les récents voyages du roi Mohammed VI au Rwanda, en Tanzanie, en Éthiopie, à Madagascar, au Nigeria et en Zambie confirment une offensive engagée au milieu des années 2000, d’abord en Afrique de l’Ouest avant de s’étendre progressivement aux autres régions du continent. Chacun connaît les success stories marocaines au sud du Sahara avec Attijariwafa Bank et BMCE Bank of Africa notamment, mais aussi dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Il y a cinq ans, pour 86 % des entreprises marocaines interrogées, l’Afrique représentait moins de 5 % de leur chiffre d’affaires. En 2016, le continent pèse plus de 5 % des revenus pour près de la moitié des répondants, et 20 % d’entre eux estiment que l’Afrique constituera plus de 50 % de leur chiffre d’affaires global dans les cinq prochaines années. L’effet de rattrapage des entreprises marocaines, finalement assez nouvelles sur le continent par rapport à leurs homologues françaises présentes pour certaines depuis plus de 150 ans, est en marche. L’afro-optimisme est à présent partagé par les patrons marocains et français, et cela se décline dans les stratégies de croissance et les investissements engagés.
Pour leurs premiers pas africains – en priorité au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Mali et au Burkina Faso qui sont les cinq premiers pays de présence -, les patrons marocains ont d’abord favorisé les exportations, la distribution et la mise en œuvre de partenariats locaux pour accumuler une connaissance solide et maîtriser les risques de ces nouveaux marchés. L’implantation sur place, la présence dans les secteurs industriels ou l’exploitation de ressources naturelles restent encore minoritaires.
La fin du « risque africain »
Selon l’étude, 64 % des entreprises marocaines dirigent leurs activités africaines depuis leur siège, contre 44 % pour leurs homologues françaises, domiciliées physiquement pour la plupart sur le continent via notamment leurs filiales et directions régionales. Ce retard est aussi appelé à être comblé puisque les groupes marocains bénéficient de nombreux avantages comparatifs, notamment la coopération Sud-Sud et leur compétitivité face à la concurrence internationale, pour passer à la vitesse supérieure.
Stabilité des pays, potentiels des marchés en pouvoir d’achat et en nombre de clients, l’implantation africaine constitue bien entendu une décision « business » logique, mais qui repose aussi sur une évaluation méticuleuse des situations locales et de l’environnement des affaires. Risques sécuritaires, niveau de corruption, désordres politiques, instabilité juridique ou fiscale…, les entreprises sont prudentes, pondérées et lucides.
Les infrastructures institutionnelles (administration, lois, fiscalité) et économiques (qualité des fournisseurs, des partenaires, taux de change), l’environnement concurrentiel, les infrastructures sociales (crèches, écoles, hôpitaux) et physiques (routes, ponts, ports, aéroports) sont ainsi considérés comme les principales difficultés. L’accès aux capitaux pour investir, la disponibilité et les capacités des ressources humaines constituent également un motif d’inquiétude. Quant à la stabilité politique et économique, elle constitue le critère de choix du pays d’implantation le plus important pour 56% des sociétés marocaines, contre 23 % pour les françaises devenues avec le temps résilientes.
Au final, la perception du risque demeure donc une question de point de vue et d’expérience. Mais ces chiffres marocains et français confirment une tendance lourde. Le « risque africain » lié aux situations politiques et à l’environnement des affaires ne constitue plus un obstacle rédhibitoire. Le potentiel et les opportunités du continent avec ses 2 milliards d’habitants en 2050 dont plus de 900 millions appartenant à la classe moyenne sont des paramètres autrement plus puissants dans la définition des stratégies de développement international des entreprises.
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