Pourquoi il faut sauver la CPI
Le débat fait à nouveau rage. En moins d’un mois, trois pays africains ont annoncé vouloir se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) : le Burundi, l’Afrique du Sud, puis la Gambie.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 12 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.
Le premier et la troisième ne brillent pas vraiment en matière de respect des droits de l’homme (fort heureusement, l’élection historique, le 2 décembre, d’Adama Barrow annonce des jours meilleurs à Banjul), tandis que l’Afrique du Sud est dirigée par un président indigne de marcher dans les pas de Nelson Mandela. Imagine-t-on d’ailleurs Madiba exiger un tel retrait ?
Le principal grief fait à la CPI, le plus audible en tout cas, serait son tropisme anti-africain. Comprendre : une justice rendue par des Blancs néocolonialistes (une justice de vainqueurs) qui ne frapperait que les Africains. Cet argument, même s’il est souvent brandi par des dirigeants peu scrupuleux qui aiment à jouer les cartes populiste ou anti-occidentale pour détourner l’attention de leurs propres turpitudes, oubliant un peu vite que la CPI n’existerait pas si les justices nationales étaient plus opérationnelles, doit naturellement être entendu. La Cour ne peut balayer d’un revers de main les observations, voire les exigences des pays africains.
Même ses plus fervents défenseurs, comme le Sénégal par exemple, premier pays à avoir ratifié le Statut de Rome, souhaitent qu’elle prête une oreille attentive aux critiques de ses détracteurs. Il y va de sa crédibilité et de son efficacité future. Quelques chiffres, cependant, pour aller au-delà des idées reçues : huit des neuf pays où des poursuites ont été engagées sont africains, et tous ceux qui ont été condamnés le sont.
Mais la majorité de ces cas a été examinée à la demande desdits pays eux-mêmes, tandis que deux autres (Libye et Soudan) l’ont été à la demande du Conseil de sécurité des Nations unies. Seule exception, donc, le Kenya, mais la procédure n’est pas allée à son terme. Dix nations sont aujourd’hui concernées par des mesures dites « d’examen préliminaire ». La moitié hors du continent : Afghanistan, Colombie, Irak, Palestine et Ukraine. Et, l’année dernière, la Géorgie a été ajoutée à la liste des pays faisant l’objet d’une enquête. On progresse, donc.
D’autres points noirs, moins « grand public » certes, mais tout aussi importants, mériteraient d’être versés au dossier CPI, même si on ne peut pas toujours les lui imputer directement. D’abord, et surtout, le fait que les grandes puissances actuelles ou en devenir échappent à son action tout en l’influençant fortement : États-Unis, Chine, Russie et quatre Brics sur cinq (seul le Brésil demeure partie au Statut de Rome).
Il nous faut également faire preuve de patience avec la Cour, d’autant qu’elle évolue
Il y a aussi son sous-financement, le déséquilibre entre les moyens de l’accusation et ceux de la défense, le choix aléatoire pour ne pas dire arbitraire des témoins. Ou encore le travail souvent bâclé (et à charge) des procureurs. Sans oublier son incapacité à faire exécuter certaines de ses décisions, comme l’inculpation du président soudanais, Omar el-Béchir, qui prend un malin plaisir à la narguer lors de ses déplacements officiels.
La justice internationale, bien sûr, est imparfaite. Il y a même très loin de la coupe aux lèvres. Les tribunaux spéciaux, pour la Yougoslavie, la Sierra Leone ou le Rwanda, qui ont porté en quelque sorte la CPI sur les fonts baptismaux, ont mis du temps, beaucoup de temps, avant de concrétiser les attentes placées en eux. Il nous faut donc également faire preuve de patience avec la Cour, d’autant qu’elle évolue enfin, notamment par l’ajout à la liste des crimes de guerre potentiels le viol ou la destruction d’un héritage culturel (mausolées de Tombouctou).
Et l’encourager à progresser, à améliorer ses mécanismes et à écouter les critiques, afin qu’elle accomplisse sa mue pour rendre pleinement justice aux victimes sans voix et lutter contre l’impunité de ceux qui, comme l’écrivait le Prix Nobel de la paix sud-africain Desmond Tutu, « cherchent en réalité [en réclamant le retrait de l’institution] un permis de tuer et d’opprimer leurs peuples sans conséquences ». En attendant le jour où nous n’aurons plus besoin d’elle.
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