Mehdi Alioua : « Le Maroc doit réformer la loi sur la migration pour la rendre plus humaine »
Au lendemain de l’annonce faite par le Maroc d’une nouvelle opération de régularisation des migrants en situation irrégulière, le président du groupe anti-raciste Gadem estime que le royaume doit enclencher une vraie politique d’intégration en leur faveur. Interview.
Le Maroc a lancé une deuxième vague de régularisation au profit des migrants en situation irrégulière. Une décision prise, lundi 12 décembre, par le roi du Maroc à son retour d’un long périple africain. Cette opération, lancée le jour même de son annonce, se déroulera selon les mêmes conditions que la première, qui avait concerné environ 25 000 personnes.
En 2014, le Maroc avait en effet ouvert des guichets de régularisation dans plusieurs provinces afin de recueillir les demandes de migrants désirant s’installer durablement au Maroc, essentiellement des Subsahariens. La nouvelle faveur royale intervient au moment où l’Algérie a expulsé près d’un millier de migrants clandestins vers ses frontières sud ces derniers jours, créant un tollé chez ses voisins. Dans cette interview, le président du Groupe anti-raciste de défense et d’accompagnement des étrangers et des migrants (Gadem), Mehdi Alioua, livre son analyse.
Jeune Afrique : Au moment où l’Algérie expulse les migrants subsahariens, le Maroc annonce l’organisation d’une nouvelle campagne de régularisation à leur profit. Comment interprétez-vous la concordance de ces deux événements ?
Mehdi Alioua : Il est difficile de donner un avis sur cette concordance. Mais je trouve que l’annonce marocaine s’inscrit dans une démarche cohérente entamée en 2014 par la Commission nationale de suivi de l’opération de régularisation, présidée par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), et dans laquelle siègent des membres de la société civile dont des migrants sans papiers. Pour nous, cette commission n’a pas finalisé ses travaux et il est logique qu’elle soit relancée.
Quels sont les travaux qu’elle devait finaliser ?
Elle devait surtout adopter des recommandations pour l’intégration des migrants sur la base de propositions que nous lui avons soumises. Entre autres, privilégier les femmes dans cette opération de régularisation et permettre aux migrants d’accéder au Régime d’assistance médicale pour les couches défavorisées (Ramed). Il faut aussi garder à l’esprit que le roi du Maroc revient d’une tournée africaine où il s’est dit touché par l’hospitalité des pays qu’il a visités et durant lesquelles il a été félicité pour sa politique de régularisation. La dramatique « chasse à l’homme noir » perpétrée en Algérie a peut-être accéléré l’annonce marocaine. Mais, en tant que société civile, cette nouvelle phase de régularisation était prévisible.
Il ne faut pas interpréter la démarche marocaine sous le prisme de l’actualité algérienne
Le communiqué publié lundi par la commission chargée de cette opération de régularisation a mentionné que « le Maroc a longtemps récusé les méthodes suivies par certains pour traiter les questions de la migration et qui se sont révélés inopérantes ». L’allusion à l’Algérie est on ne peut plus claire…
Oui, mais je ne pense pas qu’il faille interpréter la démarche marocaine sous le prisme de l’actualité algérienne. Le Maroc est dans la continuité d’une politique qu’il a commencée en 2014 et même depuis la réforme constitutionnelle de 2011 où il a affirmé ses racines multiculturelles africaines et instauré une égalité de traitement entre les Marocains et les étrangers. À partir du moment où le pays a choisi de cheminer vers l’État de droit et de s’ouvrir sur le reste de l’Afrique, il était dans l’obligation de régulariser les ressortissants de ces pays sur son sol. Le Maroc est conscient qu’il n’est plus une terre de transit mais bien une terre d’accueil. La migration Sud-Sud commence à prendre le dessus sur celle du Sud vers le Nord. La seule chose qu’on regrette est que le gouvernement et le Parlement marocains n’ont pas été capables de réformer la loi sur la migration qui est réellement liberticide.
La loi fait des amalgames entre migrants et terroristes
Que reprochez-vous à cette loi ?
La loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers, à l’émigration et à l’immigration clandestine a été adoptée au lendemain des attentats de Casablanca de 2003, le même jour que la loi antiterroriste. Elle fait des amalgames entre migrants et terroristes. Un acte migratoire non autorisé est considéré comme un crime imposant l’intervention des forces de l’ordre. Il faut revoir cette loi pour lui ôter son caractère strictement sécuritaire et la rendre plus humaniste.
Pensez-vous que cette réforme est possible dans ce contexte de lutte contre le terrorisme ?
Absolument. Lorsqu’on pénalise un acte banal comme l’absence d’une carte de séjour, on se trompe de cible. Je pense même que les services de renseignement marocains ont tout intérêt à créer des liens de confiance avec ces populations mobiles que sont les migrants. Les migrants ne sont pas un danger. L’Allemagne a accueilli de centaines de milliers de réfugiés syriens. En octobre, un attentat a été déjoué grâce à leur contribution. Ils ont dénoncé un des leurs compatriotes, soupçonné de préparer cet attentat. Je pense que la réforme de cette loi sur la migration est salutaire mais elle bloque en raison de l’idéologie du gouvernement.
L’idéologie islamo-conservatrice ?
Tout à fait. Je me souviens même de certains députés qui disaient, il y a quelques années, qu’il étaient contre toute politique de régularisation et qu’à la limite, ils ne pourraient la tolérer que si elle visait les migrants musulmans.
Le niveau d’éducation des migrants est manifestement élevé
Selon les autorités marocaines, 25 000 migrants ont été régularisés depuis 2014. Sont-ils arrivés à s’intégrer au Maroc ?
Pas tous. L’Université internationale de Rabat (UIR) a réalisé cette année une étude sur cette question avec l’aide financière de la Fondation allemande Konrad Adenauer Stiftung. Intitulée « Migrants subsahariens au Maroc : enjeux d’une migration de résidence », elle a été menée sur un échantillon de 1 400 personnes qui ont demandé leur régularisation. Plus de 67% d’entre eux ont assuré que leur objectif n’était pas d’aller en Europe mais de rester au Maroc et d’y vivre. Plus de la moitié des 1 400 personnes questionnées a un diplôme supérieur, ce qui montre que le niveau d’éducation des migrants est manifestement élevé. Malheureusement, la plupart se dit déçue par son niveau de vie au Maroc et le manque d’opportunités d’emploi convenable. Beaucoup de diplômés sont obligés de travailler dans le bâtiment pour un salaire de 2 000 à 2 500 dirhams maximum alors qu’ils sont venus au Maroc pour améliorer leur niveau de vie. Souvent, ils sont obligés de demander l’aide de leurs familles d’origine pour les sauver de la misère.
Que préconisez-vous pour les aider ?
Il faut leur permettre de créer des coopératives pour s’entraider et surtout réformer le Code du travail marocain qui est discriminatoire sur la question de l’embauche. Un employeur ne peut recruter un étranger que s’il arrive à prouver que le poste en question ne peut pas être confié à un Marocain. Au lieu que le recrutement se fasse sur la base de la compétence, c’est la préférence nationale qui prime.
Vous avez déjà critiqué la lourdeur et la complexité des procédures de régularisation de migrants. Qu’en est-il maintenant ?
Nous n’avons pas de nouvelles sur l’assouplissement des procédures. Mais nous dialoguons en toute liberté avec la commission nationale chargée des régularisations. C’est une chance par rapport à l’Algérie, dont l’image a été ternie par ces opérations d’expulsion massives de migrants. Au Maroc, 25 000 personnes sur 27 000 demandeurs ont pu quand même obtenir leurs titres de séjour.
Instaurer l’égalité dans l’accès à l’emploi entre un Marocain et un étranger
Que reprochez-vous à ces procédures alors ?
En premier lieu, l’accueil de migrants. Comme dans les autres pays, c’est le ministère de l’Intérieur qui dirige cette opération de régularisation, via la police. Or, parfois, cette dernière faisait du zèle, compliquant la tâche aux demandeurs de titres de séjours. Nous avons travaillé avec le ministère pour atténuer ce genre de comportements. Autre complication : les postulants devaient prouver avoir travaillé au moins deux ans au Maroc sur la foi d’une attestation de leur employeur. Or, la plupart gagnent leur vie grâce à des activités informelles. Dans beaucoup de cas, nous étions obligés d’intervenir pour assouplir cette règle.
Pourquoi le Maroc se contente-il de campagnes de régularisation ponctuelles au lieu d’en faire une politique durable comme en Europe ?
À la base, la première campagne était destinée à régulariser les personnes sans papiers qui voulaient rejoindre l’Europe mais qui se sont trouvés bloqués au Maroc. Il y avait aussi beaucoup de migrants, essentiellement des Sénégalais, qui se sont installés au Maroc pour y travailler mais qui étaient obligés de quitter le pays tous les trois mois pour avoir le tampon de la police des frontières sur leurs passeports. Maintenant que le Maroc a franchi le premier pas dans sa politique de régularisation, notre objectif est de le pousser à adopter une vraie politique migratoire incluant le regroupement familial, la lutte contre la discrimination dans l’accès à l’emploi, la lutte contre le racisme…
Que vous répondent les autorités ?
Depuis notre création en 2006, nous avons eu droit à leurs moqueries, voire leurs insultes remettant en cause le bien-fondé de notre lutte. Mais depuis que le roi a montré la voie, nous sommes mieux accueillis et dialoguons d’une façon sereine avec elles.
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