Mariage d’une Tunisienne de treize ans enceinte d’un proche : « Le juge aurait pu ne pas appliquer l’article 227 bis »

Une adolescente de 13 ans a été contrainte d’épouser son violeur en application d’une loi de 1958. Cela se passe en 2016, en Tunisie, pays signataire de la charte onusienne de protection de l’enfance. L’avocat Ghazi Mrabet revient sur le fossé qui existe entre les lois et la société.

L’avocat Ghazi Mrabet. © Ons Abid pour J.A.

L’avocat Ghazi Mrabet. © Ons Abid pour J.A.

Publié le 15 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Le jugement qui a contraint une adolescente de 13 ans à se marier à son violeur a suscité un tollé mais aussi mis en lumière les paradoxes des lois tunisiennes. Qu’en est-il selon vous ?

Ghazi Mrabet : À sa décharge, le juge n’a fait qu’appliquer la loi ou plutôt l’article 227 bis ajouté en 1958, modifié en 1969 et 1989 qui prévoit qu’un violeur épouse sa victime pour réparer son crime. Ce texte est inique et résonne d’autant plus qu’une campagne contre la violence faite aux femmes bat son plein. Dans le cas d’espèce, la victime étant mineure, l’autorisation parentale était nécessaire ; cela a également provoqué l’indignation ainsi que des questionnements sur l’avenir de cette gamine. Le juge aurait pu ne pas appliquer le 227 bis dans la mesure où une enfant de 13 ans n’a pas de discernement et que les services de protection de l’enfance semblent avoir été absents malgré la demande du parquet.

Le juge aurait pu ne pas appliquer le 227 bis dans la mesure où une enfant de 13 ans n’a pas de discernement

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Dans tous les cas, la suspension de l’autorisation de mariage réclamée par le parquet hier est remarquable et fera jurisprudence. Il est également important de souligner l’inconstitutionnalité de ce 227 bis qui va à l’encontre de toutes les chartes internationales relatives à la protection de l’enfance signées par la Tunisie et du code de protection de l’enfance figurant dans la loi fondamentale de 2014.

Cette affaire aurait pu être passée sous silence. Que s’est-il passé ?

La mobilisation de la société civile a été remarquable et les médias ont joué leur rôle. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques semaines, un sujet similaire avait été abordé dans un talk show et avait fait grand bruit. L’animateur avait scandalisé l’opinion en lançant à la jeune femme violée qu’elle n’avait qu’à épouser son violeur pour effacer la souillure et suscité une telle polémique que l’émission a été suspendue pour trois mois.

Quels sont les dysfonctionnements de la justice tunisienne ?

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Les juges appliquent les lois qui existent mais ne peuvent ignorer que certaines d’entre elles sont au centre d’un débat national. La loi 52, qui sanctionne d’un an d’emprisonnement la consommation de cannabis pourrait, en attendant son remplacement par un nouveau texte, être appliquée avec plus d’indulgence. Les juges pourraient faire l’effort de prendre en compte les nombreux vices de forme, dont ceux dus aux tests de dépistage des urines.

Vous êtes connu pour votre engagement en faveur de l’abrogation de la loi 52. Où en est cette démarche ?

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Les quatre premiers partis qui ont remporté les législatives de 2014 avaient promis que cette loi serait abrogée. En décembre 2015, un projet de loi avait été adopté par le conseil des ministres et transmis à l’Assemblée mais depuis rien ne bouge au niveau des députés. Cette loi, sous sa forme actuelle, est un instrument de pression sur les jeunes – 60% des condamnés pour consommation de cannabis ont entre 18 et 29 ans.

Finalement depuis son adoption en 1992 et malgré les bouleversements vécus par la Tunisie, le système n’a pas changé. Pire, plombé par la corruption, le système ne veut pas que cela change. Au niveau de l’État, de la police, du parquet et des magistrats, certains profitent de la situation engendrée par la loi 52.

Dans un contexte de consensus politique tendant à arrondir les angles et conduisant à adopter une position médiane souvent frileuse, comment la Tunisie peut-elle revoir des lois souvent obsolètes qui touchent au sociétal ?

La refonte ou l’abrogation des lois concerne la conscience collective et la société civile qui doit tenir un rôle de proposition et de modération. Les lois en lien avec la société provoquent des affaires à même de mobiliser l’opinion. C’est ce qui s’est passé dans le cas de cette adolescente. Il faut retenir l’impact de cette mobilisation puisque le parquet a réagi même si rien ne permet de prévoir quel sera le dénouement de l’affaire. L’essentiel est que la parquet bouge ; une première.

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