Tchad : voyage au cœur de la filière coton de Moundou

Dans le sud du pays, fief de Cotontchad SN, la production d’or blanc remonte en puissance et devrait dépasser les 170 000 tonnes cette année. Mais les difficultés structurelles risquent de retarder le redécollage de l’entreprise publique et de ses fournisseurs. Reportage.

Une récolte de coton. © Théo Renaut pour J.A.

Une récolte de coton. © Théo Renaut pour J.A.

Madjiasra Nako

Publié le 15 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.

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À Moundou, capitale économique du pays et berceau de Cotontchad Société nouvelle (Cotontchad SN), le téléphone chauffe. Depuis quelques jours, Abderamane Adoum, le directeur commercial et marketing de l’entreprise publique explose littéralement le forfait de son mobile dans d’interminables discussions avec des partenaires étrangers. « Au niveau interne, le pool bancaire est touché par la crise financière et économique que traverse le pays. Mais on ne peut pas continuer à laisser le coton au champ, explique-t-il. Aussi, nous essayons de faire financer la campagne par des banques étrangères, celles de nos clients qui ont acheté notre production à terme. »

Pour la nouvelle direction de l’entreprise, nommée début octobre 2016, le défi est de sauver une campagne qui s’annonce à la fois prometteuse, avec 171 000 tonnes (t) de coton-fibre récoltées (contre 150 000 t en 2015 et 35 000 t en 2011), mais aussi de parvenir à rémunérer et remotiver les cotonculteurs, lesquels attendent depuis un an le paiement de leur production pour la campagne précédente… La facture s’élève déjà à plus de 9 milliards de F CFA (plus de 13,7 millions d’euros), avec un passif de 54 000 t de coton enlevées et encore impayées, auquel s’ajoute les règlements dus aux transporteurs et autres fournisseurs.

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Une partie de la récolte 2015 n’a toujours pas été payée

À la fin du mois de novembre (mois de commercialisation de la production), les paysans n’ont toujours pas vu un seul des camions chargés de transporter vers les usines l’or blanc qu’ils ont récolté et qui attend donc, en tas, dans la brousse. « Une partie du coton récolté l’an dernier n’est toujours pas enlevé et ce qui l’a été n’est toujours pas payé. Cela peut devenir un facteur de démotivation pour les producteurs, alors que nous étions en train de remonter la pente… » craint Mbontar Ndoukoh, le président de l’Union nationale des producteurs de coton, lui-même en pleine récolte dans la brousse de Toguero, à 40 km des usines de Moundou. « C’est la mauvaise gestion qui risque de casser la dynamique que nous avons lancée. Et ce serait bien dommage », déplore-t-il.

Pourtant, en 2011, lorsque le gouvernement décide de relancer la production de coton, le passif de l’ancienne entreprise est entièrement apurer et une nouvelle entreprise est créée en janvier 2012, Cotontchad SN qui, débarrassée de ses dettes, doit permettre à la filière de se structurer et de redécoller. Pour remotiver les planteurs découragés par des années d’impayés, l’État ajoute 15 F CFA (0,023 euros) au prix du kilo de coton-fibre payé aux cotonculteurs, ce qui le fixe donc à 240 F CFA/kg (0,366 euros/kg) : trop élevé pour que la société nationale puisse en tirer une marge. Le Trésor public s’engage donc à rembourser la différence… Mais, depuis, les engagements n’ont pas été tenus.

Priorité : sauver la campagne en cours

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Résultat, à peine relancée, la dynamique pique à nouveau du nez. Malgré un crédit de 30 milliards de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BEAC), qui a permis de renouveler une partie de la flotte de l’entreprise publique et de ses six usines d’égrenage, le reste ne suit pas. Les factures s’accumulent. Et plus de 1 000 t de coton de la précédente campagne n’ont pas été enlevés par les camions de Cotontchad SN.

L’inquiétude s’installe chez les paysans comme au sein du personnel de la société. « Nous sommes préoccupés, même si nos salariés et nos partenaires ne perçoivent pas encore la crise », confie Nodjihoroum Béral, directeur administratif et des ressources humaines de l’entreprise. Le nouveau PDG de Cotontchad, Mohamed Saleh Ibni Oumar, nommé le 6 octobre, s’est donné pour première priorité d’essayer de sauver la campagne en cours. « Pour la suite, j’ai commandé un audit exhaustif afin d’avoir une idée plus précise de la situation, même si je sais qu’elle est alarmante, explique-t-il. Nous travaillons aussi à informatiser notre système pour avoir en temps réel des informations sur toutes les usines, ainsi que sur nos camions. On pourra ainsi minimiser les pertes. »

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Plusieurs cadres de Cotontchad SN estiment par ailleurs que, malgré la difficile restructuration, l’activité reste rentable, d’autant que les cours de la fibre sont bonnes. Le grand défi des mois à venir sera donc de parvenir à doter la filière d’une gestion efficiente. Et il faudra pour cela travailler avec des privés, qui ont l’expérience industrielle.

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