Tchad : Salma Khalil, l’art d’être une femme
Designer infographiste, poète, peintre, photographe et fondatrice de l’association Positive, Salma Khalil met son énergie et ses talents au service des Tchadiennes, qu’elle veut voir libres, autonomes et surtout respectées.
C’est peut-être l’une des jeunes femmes les plus élégantes de N’Djamena. Des boucles de couleurs à ses oreilles aux petits bracelets de perles sur ses poignets fins, Salma Khalil Alio fabrique tout elle-même. Auteure de plusieurs recueils de poèmes, artiste polyvalente maniant aussi bien le pinceau que l’appareil photo, à 34 ans, elle est un exemple pour beaucoup de jeunes femmes de son association, Positive, qu’elle a créée en 2014 et pour laquelle elle vient de trouver un local à Sabangali, tout près de l’Institut français. « C’est un quartier populaire, proche du centre-ville et des ministères. C’est un lieu stratégique ! » se réjouit-elle.
Je soutiens des femmes créatives et battantes pour les rendre indépendantes
Designer infographiste à plein temps chez Tigo, l’opérateur de télécoms, Salma Khalil trouve encore de l’énergie après le travail pour mettre son temps libre au service des autres. Et ce sont les autres qui viennent la chercher ; elle, reste modeste et n’est jamais opportuniste. « Je veux mettre l’art et l’artisanat au service de l’émancipation féminine au Tchad, explique-t-elle. Je soutiens des femmes créatives et battantes pour les rendre indépendantes, qu’elles soient potières dans le village de Gaoui [près de N’Djamena], qu’elles fassent du tissage ou de la broderie. À travers l’association, nous nous aidons, nous nous complétons dans nos compétences. J’aimerais que l’on puisse créer ensemble une marque afin d’emmener l’artisanat tchadien vers le business et de permettre à chacune d’entre nous de vivre entièrement de son talent. »
Élancée, invariablement souriante, Salma Khalil promène sa classe sahélienne aux quatre coins du pays, toujours à courir après un rendez-vous, une rencontre avec une artiste, un débat sur le sort des femmes au Tchad. Celle que tout le monde connaît sans savoir réellement ce qu’elle fait tant elle touche à tout – certains la surnomment même « la journaliste » -, est en réalité l’une des plus brillantes artistes tchadiennes de sa génération.
Il faut toujours rester vigilant avec le fanatisme rampant, surtout nous, les femmes
Fille d’un éminent professeur d’université spécialiste de la linguistique, qui enseigna en Allemagne et au Nigéria, elle est aussi la sœur cadette de la chanteuse et actrice Mounira Khalil Alio, alias Mounira Mitchala (prix découverte RFI en 2007), la « Panthère douce » qui, avec ses mélodies traditionnelles dénonce elle aussi le mariage forcé et l’excision.
« Enfant, j’ai grandi en Allemagne, dans un milieu studieux et cultivé, cela a forgé mon goût pour la culture et ma curiosité, confie Salma Khalil. Mon adolescence, ensuite, à Maiduguri, reste l’une des plus belles époques de ma vie. Je n’aurais jamais cru, que cette ville si gaie et ouverte deviendrait le théâtre des exactions de Boko Haram. Comme quoi, il faut toujours rester vigilant avec le fanatisme rampant, surtout nous, les femmes. »
Débarquement à N’Djamena, une BD positive
Depuis le 5 décembre, l’Institut français de N’Djamena expose le projet dont elle a assuré la direction artistique en confiant des appareils photos à des enfants de Baga-Sola, d’Abeché, de Moundou et de N’Djamena. Elle leur a demandé de réfléchir sur la place des filles dans la société. Dans le même esprit, plusieurs fois par mois, elle publie sur la page Facebook de Positive (association.positive.520) les épisodes de sa bande dessinée, « Débarquement à N’Djamena » : les aventures de trois jeunes filles étrangères installées au Tchad. « Je raconte les galères quotidiennes de ces femmes qui tentent de s’intégrer dans la société tchadienne parfois par trop rigide et masculine. Nous, les artistes, on est là pour éveiller les consciences », résume-t-elle.
Grâce à ses différentes activités, la jeune femme s’est acheté une petite voiture et offert des études de design près de Strasbourg, en France. Elle y séjourne régulièrement pendant quelques semaines pour sa formation, mais revient toujours au Tchad, où son petit ami français cherche à s’installer pour la rejoindre. « Ma vie est ici, il y a trop à faire pour que je renonce à ce pays, même pour des sentiments. » Décidément, oui, elle est libre Salma !
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