Mali : la Minusma enquête sur la mort d’un enfant, possible bavure de Barkhane
Un enfant de dix ans a été retrouvé mort dans le nord du Mali le 1er décembre, au lendemain d’une opération héliportée menée par des soldats français dans le cadre de l’opération Barkhane. Le corps aurait été enterré à la va-vite, et des témoignages laissent supposer une tentative de dissimulation. La Minusma a ouvert une enquête pour en savoir plus.
Le 5 décembre, Oumar Ag Achafagui a parcouru les 60 kilomètres qui séparent son campement de la ville de Tessalit, à l’extrême-nord du Mali, pour briser la fatalité. Espérant que justice sera faite, il est venu dire au maire de Tessalit, aux représentants locaux de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et à un responsable d’une ONG en charge de l’enfance, que le cadavre d’un garçon de dix ans, un de ses neveux, venait d’être retrouvé tout près de son campement, et que cet enfant avait été tué par des soldats français.
Le drame se déroule le 30 novembre, dans les environs de Tibagatene, dans une plaine sablonneuse située à proximité d’un bloc rocailleux. C’est une zone périlleuse, où les jihadistes circulent, et dans laquelle opèrent régulièrement les hommes de l’opération Barkhane. Les nomades qui y vivent ont l’habitude de voir les hélicoptères français les survoler à toute vitesse. Ce jour-là, la matinée touche à sa fin quand deux hélicoptères passent au-dessus de leur campement. Bientôt, ils entendent des tirs. Certains disent qu’il s’agit de roquettes, d’autres de mitrailleuses. Puis le calme revient.
Vers 15 heures, un hélicoptère, un seul, est de retour. Il se pose là où le raid a été mené quelques heures plus tôt. De loin, les nomades croient voir des soldats descendre, s’activer quelques minutes au sol, puis repartir. Ils sont intrigués, mais ils ont peur d’être pris pour des jihadistes s’ils se rendent sur place. Ils ne bougent pas.
Un enfant a disparu la veille. Ses parents le cherchent
Ce n’est que le lendemain qu’ils partent sur les lieux, situés à quelques centaines de mètres de leur campement. Un enfant a disparu la veille. Ses parents le cherchent. Sur place, ils trouvent, selon le récit d’Oumar Ag Achafagui, des fragments d’os et de chair, de nombreux impacts de balles – de gros calibre ou d’obus, ils ne savent pas – et une tombe dans laquelle un corps a été enterré à la va-vite. Ils le sortent de terre. La victime, Issouf Ag Mohamed, avait dix ans. Ses parents, Mohamed Ag Sarofi et Alghalia Walet Kawad, l’avaient chargé de rassembler les ânes pour aller chercher de l’eau. C’est ce qu’il faisait, pensent-ils, quand les hélicoptères français sont arrivés. Ils ont retrouvé les bêtes non loin d’ici.
Une vidéo a été tournée sur les lieux du drame deux jours après qu’Issouf a été à nouveau inhumé, selon la tradition musulmane cette fois-ci. Elle ne prouve rien, mais elle montre la tombe, des traces de pas, des trous plus ou moins gros certainement creusés par l’impact des balles. L’homme qui filme commente en tamasheq : « Aujourd’hui, nous voulons montrer la raison pour laquelle nous faisons cette vidéo. Un enfant de 10 ans est mort. Il a été tué par un hélicoptère de Barkhane le 30 novembre. Pour quelle raison cela est arrivé ? Peut-on nous expliquer ce qui justifie ce meurtre dans la loi ? Barkhane a tué l’enfant, et nous a caché son acte. Ils l’ont tué et ces munitions que nous allons montrer et compter constituent la preuve de ce meurtre. »
La famille du jeune Issouf assure que des soldats français ont circulé dans des campements de la zone ce même 30 novembre, et qu’ils n’ont rien dit à personne. Elle est persuadée que ce sont eux qui ont enterré leur enfant. Elle se demande pourquoi ils ont tiré sur lui alors qu’il était à découvert.
Enquête de la Minusma
Informée de cette histoire, la Minusma a immédiatement dépêché une équipe sur place pour en savoir plus. Guillaume Ngefa, le directeur de la division des droits de l’Homme de la mission onusienne, indique qu’une enquête est en cours, mais il ne veut pas en dire plus pour l’instant. Une source interne à la Minusma, qui a requis l’anonymat, confirme cependant que l’enfant a selon toute vraisemblance été tué par des soldats français. « Des opérations de l’armée française sont en cours dans cette zone, souligne cette source. On ne connaît pas dans les détails les circonstances de la mort du garçon. A-t-il été la cible de tirs intentionnels ou une victime collatérale ? On ne le sait pas encore ». Un doute subsiste également sur l’identité de ceux qui ont enterré le cadavre avant que ses parents ne le découvrent.
Dans un communiqué, la CMA exige une enquête indépendante afin de « faire toute la lumière sur les circonstances de ce crime » et d’« établir la responsabilité des auteurs ». Sollicité à de multiples reprises, le ministère français de la Défense est resté muet.
Ce n’est pas la première fois que Barkhane est accusée d’une telle « bavure » au Mali. Le 10 octobre 2015, un enfant de 10 ans qui accompagnait son père, Almoustapha Ag Warakoul, un commandant d’Ansar Eddine, avait également péri lorsque leur véhicule avait été attaqué par les Français près du village de Boghassa, dans le cercle d’Abeïbara. Les autorités françaises s’étaient déjà murées dans un silence assourdissant.
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