Mouloud Mimoun : cinéma, cinémas
Cet Algérien n’a cessé de naviguer entre les deux rives de la Méditerranée, animé par une passion tenace : le septième art.
Rien d’étonnant à ce qu’il soit toujours très à l’aise sur les estrades, et notamment ce 26 novembre sur celle de l’Institut du monde arabe (Paris), où il anime comme chaque année la soirée d’inauguration du Maghreb des films (jusqu’au 18 décembre), ce festival des cinémas de la rive sud de la Méditerranée dont il a été l’un des initiateurs, il y a cinq ans. Mouloud Mimoun fut en effet l’un des chroniqueurs puis le rédacteur en chef entre 1977 et 1987 de Mosaïque, émission pionnière de France 3 sur les immigrés.
« Je suis une sorte de beur à l’envers, dit-il pour se présenter. Je suis né en France d’une famille algérienne immigrée très tôt, à l’époque de la Première Guerre mondiale. Au lendemain du conflit, mon père était manoeuvre dans le Nord… où il rebouchait les tranchées que son propre père avait creusées quelques années auparavant pour l’armée française. Et au moment où beaucoup d’Algériens partaient travailler en France, pendant l’été 1954 précisément, c’est dans l’autre sens que l’on a traversé la Méditerranée avec ma famille, alors que j’avais 10 ans. Du coup, à Alger, j’étais un m’tourni, un « retourné », comme on désignait alors le naturalisé français, pour les Algériens. J’étais aussi un Arabe, sans beaucoup de droits, et un « pathos », autrement dit un originaire de la métropole, pour les pieds-noirs. Donc un jeune qui se sentait rejeté de partout. » À tel point que, pendant une année, le préadolescent déboussolé sera renvoyé dans l’Hexagone comme interne.
De son enfance à Paris, il lui est resté la passion du septième art. Avant même ses 10 ans, il fréquentait avec ses copains la salle aujourd’hui disparue de l’Artistic Voltaire : « Un ou deux d’entre nous payaient les 20 centimes du ticket, puis faisaient entrer les autres en ouvrant une porte normalement condamnée. » Son « truc », comme il dit, c’était déjà de commenter les films : « Je passais mon temps à raconter à mes camarades ce que j’avais vu ou ce que je prétendais avoir vu. »
Revenu à Alger, le bon élève intègre l’École normale d’instituteurs, où il remarque à quel point les Algériens sont peu nombreux face aux « Européens ». Jusque-là, il se sentait français : c’est désormais impossible. Ce d’autant que, pendant la dernière année de la guerre, il voit son établissement brûlé par les partisans de l’OAS. Dans le quartier Climat-de-France, où il habite, sur les hauteurs d’Alger, un responsable du FLN lui demande alors de l’aider comme « secrétaire à l’organisation ».
Cette participation au combat pour la libération du pays ne l’empêche pas de se retrouver encore à contre-courant en rejoignant la France, au lendemain de l’indépendance, pour devenir employé aux écritures dans une grande société parisienne. Mais le pays a trop besoin de gens comme lui et il n’hésite guère quand on lui propose, quelques mois plus tard, de refaire ses valises pour rejoindre l’agence de presse créée par le premier gouvernement algérien.
Âgé d’un peu plus de 18 ans, il est le benjamin des journalistes d’APS (Algérie Presse Service) où, chargé de couvrir la jeunesse et les sports, il côtoie souvent le tout jeune ministre s’occupant de ce domaine, un certain Abdelaziz Bouteflika.
Il continue néanmoins de fréquenter les salles obscures et commence à écrire sur le cinéma, notamment dans le quotidien El Moudjahid et l’hebdomadaire Algérie-Actualité, devenant un pionnier de la critique de cinéma dans son pays. En 1965, c’est tout naturellement qu’il rejoint l’Office des actualités algériennes, dirigé par le cinéaste Mohamed Lakhdar-Hamina, dont il deviendra le rédacteur en chef.
Désormais, il ne quittera plus le monde des images, devenant l’un des principaux animateurs de la cinémathèque d’Alger, alors au sommet de sa gloire : elle reçoit régulièrement les plus grands cinéastes de la planète comme Jean-Luc Godard, Youssef Chahine, Glauber Rocha ou Sembène Ousmane. « Paradoxalement, une période de grande liberté et d’effervescence en matière de culture sous Boumédiène, alors même que régnait le parti unique. »
>> Lire aussi : Cinéma algérien : chronique d’une longue absence
Mal vu des autorités, notamment pour ses activités syndicales et ses liens avec le PAGS, resucée du Parti communiste, ébranlé par un coup de foudre, il décide une fois de plus de traverser la mer et devient acheteur de films étrangers pour l’Office des actualités algériennes, attaché de presse de jeunes cinéastes comme Merzak Allouache ou Mohamed Bouamari, et enfin chroniqueur cinéma de Mosaïque dès sa création par le réalisateur Tewfik Farès, un ami. À la disparition de l’émission, où il a vite pris du galon, Mimoun réalise des documentaires pour Arte, écrit des articles dans la presse algérienne, présente La Nuit du ramadan sur France 2…
En 2009, avec le critique de L’Humanité Gérard Vaugeois et quelques amis fous de cinéma, il constate à quel point les films du Maghreb ont quasi disparu des écrans, dans les salles comme à la télévision, et ce des deux côtés de la Méditerranée. Presque sans moyens, il crée avec eux le Maghreb des films (maghrebdesfilms.fr), où il anime, bien sûr, une bonne partie des débats qui accompagnent les projections. Sa vie, à 70 ans, c’est encore et toujours le cinéma, les cinémas.
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