Algérie : la polémique autour du RHB vire au scandale sanitaire

D’abord présenté comme un remède miracle contre le diabète, un complément alimentaire produit par un Algérien se trouve au cœur d’un scandale politico-sanitaire. Grand succès en pharmacie, le RHB a finalement été interdit à la vente. L’affaire, qui met en cause le ministre de la Santé ainsi que le concepteur du produit, révèle de nombreux dysfonctionnements.

Le médicament « Rahmet Rabbi » présenté comme un remède miracle contre le diabète. © Capture d’écran YouTube

Le médicament « Rahmet Rabbi » présenté comme un remède miracle contre le diabète. © Capture d’écran YouTube

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Publié le 16 décembre 2016 Lecture : 7 minutes.

La supercherie aura duré 9 mois. Le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, qui vantait encore les mérites du RHB contre le diabète au printemps dernier, a décidé, mardi 13 décembre, d’en interdire définitivement la commercialisation. Et cela moins d’un mois après sa mise sur le marché. Il emboîte ainsi le pas au ministère du Commerce, qui a mis en garde, le mercredi 7 décembre, contre la consommation de ce produit tant que les résultats des analyses ne sont pas connus.

« Le retrait a été ordonné car le vacarme médiatique et certaines allégations quant aux vertus de ce produit pouvaient laisser croire qu’il s’agit d’un substitut aux médicaments utilisés dans le traitement du diabète et mettre en danger la vie des patients », explique Slim Belkessam, porte-parole du ministère.

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Miséricorde divine

Cette décision intervient alors que le RHB a fait ses premières victimes. Un homme âgé de 75 ans se trouve toujours en soins intensifs au CHU de Constantine. Ce diabétique, qui avait troqué son traitement à l’insuline pour le « remède miracle », est tombé dans le coma au début du mois. Plusieurs cas de malades souffrant de sévères complications après avoir abandonné leur traitement pour le RHB ont été enregistrés à Oran.

Ils pourraient ne pas être les derniers, compte tenu de l’engouement observable devant les officines de pharmacie, au moment du lancement de la distribution du RHB, à la mi-novembre, en dépit de son prix élevé (1720 DA, soit environ 15 euros). Selon des statistiques officielles, près de 5 millions d’Algériens souffrent du diabète, deuxième maladie chronique après l’hypertension. Un mois après sa mise sur le marché, ce qu’on avait présenté à grand renfort médiatique comme la panacée contre le remède s’est révélé être une escroquerie.

« De l’emballage au marketing en passant par le matraquage médiatique, tout a été fait pour duper les personnes atteintes de diabète et leur faire croire à un médicament miracle, dénonce Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP). La place du RHB n’était pas sur les étalages des pharmacies mais dans les rayons des grandes surfaces ».

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Les professionnels de la santé en colère

L’incrédulité règne encore dans les rangs des professionnels de la santé qui ont majoritairement émis des doutes dès la présentation du produit à la presse, en février dernier. « La naissance d’un médicament suit une procédure rigoureuse sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), s’interroge Nadir Cheriet, membre du conseil de l’Ordre des pharmaciens de Constantine et président-fondateur du laboratoire Isopharm. Sachant que la recherche d’un nouveau médicament, les essais cliniques et les formalités prennent en moyenne vingt ans, comment expliquer qu’un inventeur, inconnu au bataillon, ait pu être reçu par le ministre ? Et comment est-ce possible que ce dernier raconte avoir été trompé alors qu’il est le mieux placé pour savoir qui il avait en face de lui ? »

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Plusieurs éléments auraient pu alerter les autorités et les médias. À commencer par le nom de ce produit : Rahmat Rabi (littéralement « Miséricorde de Dieu »). « La connotation religieuse est dangereuse puisqu’elle a contribué à leurrer des malades prêts à tout pour se soigner », souligne Lyes Merabet. La composition du produit, ensuite, manquait de détail. « Elle est imprécise, le principe actif n’est même pas précisé », s’étonne Nadir Cheriet.

Un CV mensonger

Encore plus intriguant, le CV de l’initiateur du RHB et ses multiples zones d’ombre. Toufik Zaïbat, 51 ans, a été présenté dès le début de cette affaire comme chercheur et docteur en médecine. Au cours d’un reportage diffusé par la chaîne privée Echourouq TV, qui avait fait une promotion zélée aussi bien de sa personne que de son produit, Zaïbat a tout bonnement expliqué avoir refusé le prix Nobel de médecine au motif que l’académie suédoise lui avait demandé de modifier son nom arabe pour un nom occidental.

Toujours selon la même chaîne, l’homme a obtenu son doctorat de médecine à l’Université de Lausanne, en Suisse. Contactée par Jeune Afrique, celle-ci dément une quelconque inscription de Toufik Zaïbat dans cet établissement. « Je ne trouve pas la trace du médecin dont vous m’avez parlé », nous affirme Géraldine Falbriard, responsable des relations médias au CHU de Lausanne. « Le seul diplôme qu’on lui connaît, c’est le baccalauréat « , indique une source originaire de Constantine.

Technicien de laboratoire, fils d’un ancien moudjahed (combattant de la révolution), issu d’une famille aisée, le jeune homme s’était installé en Suisse à la fin des années 1990. Il y aurait acquis quelques rudiments de connaissance en phytothérapie avant de revenir en Algérie vers 2003-2004 pour ouvrir un laboratoire. Il y a quelques années, il avait prétendu avoir trouvé un remède miracle contre le psoriasis. Interrogé encore par la même chaîne sur ce fameux remède contre cette maladie de la peau, le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, expliquait que Toufik Zaïbat était comme un frère pour lui et que celui-ci avait « réussi à inventer un remède contre le psoriasis qui a été reconnu au niveau mondial. » En vérité, ce médicament est une simple pommade préparée notamment à base de plantes naturelles. Mais il n’en est pas resté là. Zaïbat a également prétendu avoir trouvé la solution miracle contre la chute des cheveux et en a fait la promotion à la télévision d’État.

Les arguments de l’arnaque

Selon des documents obtenus par Jeune Afrique, l’homme a fondé en 2012 une autre SARL spécialisée, entre autres, dans la fabrication de produits de nettoyage, de blanchiment et d’entretien. Bref, des activités qui ne cadrent pas avec ses prétendus diplômes en médecine. Confondu, Toufik Zaïbat s’est rétracté en affirmant n’avoir jamais acquis de doctorat en Suisse ou en Algérie. Sa volte-face, les contradictions et les approximations qui ont entouré ses sorties médiatiques ainsi que l’interdiction de son complément ont fini par révéler une immense supercherie médiatico-scientifique.

L’affaire du RHB pourrait-elle avoir des répercussions politiques ? « Elle a permis de lever le voile sur des failles du système sanitaire algérien, estime Lyes Merabet. La défaillance est collective, elle relève des ministères du Commerce, de la Santé et des médias. » Le rôle joué par le ministre de la Santé dans ce scandale rend pour le moins perplexe. Abdelmalek Boudiaf a non seulement reçu dans son bureau Toufik Zaïbat, mais il avait aussi soutenu que l’invention de ce dernier allait provoquer une « révolution » dans le traitement du diabète à travers le monde. Le ministre s’était ainsi hasardé à faire la promotion de « ce médicament » et de son concepteur, allant jusqu’à laisser entendre que les diabétiques qui recourent au RHB pourraient se passer de l’insuline.

La rapidité avec laquelle ce complément a obtenu les autorisations pour être mis sur le marché – générant ainsi des dizaines de millions de dinars de bénéfices pour son inventeur -, et le zèle mis par le ministre de la Santé à faire la publicité de Toufik Zaïabt éveillent des soupçons sur un éventuel intéressement matériel de sa part. Sommé par la présidence de la République et par le Premier ministre de s’expliquer, Abdelmalek Boudiaf dit aujourd’hui avoir été victime d’une imposture.

Sauf que le ministre de la Santé affirmait, dans des déclarations antérieures, tout connaître de Toufik Zaïbat, dont il suit le parcours et les activités « au détail du détail » depuis plusieurs années. Son implication dans cette affaire puis son revirement tardif jettent le discrédit sur lui et sur son département.

Une action en justice

« Accorder une audience n’équivaut pas à donner un blanc-seing. C’est la promotion mensongère du produit qui pose problème », défend Slim Belkessam. Celui-ci rappelle que le contrôle des compléments alimentaires « ne fait pas partie des prérogatives » de son ministère.

Maintenant que l’arnaque a été démontrée et que le produit a été interdit de commercialisation, Toufik Zaïbat va devoir s’expliquer devant la justice. Le groupe pharmaceutique Saidal a annoncé, jeudi 15 décembre, son intention de déposer plainte contre lui car il avait prétendu avoir travaillé en collaboration avec cette entreprise publique. « Le groupe Saidal tient à informer qu’il n’entretient aucune relation ni de près ni de loin avec l’intéressé et que son produit n’a fait l’objet d’aucune collaboration avec le groupe Saidal pour le développement ou la production », indique un communiqué officiel de ce groupe. Devant l’ampleur de la supercherie, il n’est pas exclu que d’autres plaintes viseront celui qui se faisait passer pour le docteur qui vaincra le diabète.

La réglementation pourrait, elle aussi, changer. Un projet de loi, qui sera examiné à partir du 19 décembre, prévoit de placer les compléments alimentaires sous la responsabilité du ministère de la Santé, et non plus de celle du ministère du Commerce. « Si ces dispositions passent, ce type de problème ne se posera plus car cette catégorie de produits sera sujette à des conditions de mise sur le marché similaires à celles appliquées aux médicaments », avance le porte-parole du ministère de la Santé.

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