Immigration : coup de force à la Maison Blanche

À deux ans de la fin de son dernier mandat, Barack Obama a entrepris de réformer par décret, en court-circuitant le Congrès, les dispositions réglementant le statut des migrants clandestins. Sacrée bataille en perspective !

Rassemblement célébrant la réforme de la politique d’immigration, le 21 novembre, à New York. © John Moore/AFP

Rassemblement célébrant la réforme de la politique d’immigration, le 21 novembre, à New York. © John Moore/AFP

Publié le 3 décembre 2014 Lecture : 6 minutes.

"Nous ne devons pas opprimer le coeur de l’étranger car nous connaissons son coeur. Nous aussi avons été étrangers." C’est en citant ce verset de l’Évangile que Barack Obama a, le 20 novembre, annoncé une réforme de l’immigration censée protéger de l’expulsion près de 5 millions de sans-papiers – sur les 11 millions que compte le pays.

Cette réforme, il va être contraint de la conduire par décret (executive order) en raison de la farouche opposition des républicains, majoritaires dans les deux chambres du Congrès. Le projet de loi bipartisan adopté en 2013 par le Sénat n’a en effet jamais été discuté par la Chambre des représentants.

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Et comme, depuis les élections de la mi-mandat, au début de ce mois, le Sénat est contrôlé par le Grand Old Party (GOP), Obama n’avait plus d’autre choix que de passer en force. Comme quoi, même pour un lame duck ("canard boiteux"), comme on surnomme aux États-Unis un président en fin de second (et dernier) mandat, la meilleure défense reste l’attaque.

En exposant son projet, Obama a joué avec talent sur la corde de l’émotion. Comme souvent, il a su trouver les mots justes : "Allons-nous tolérer plus longtemps un système hypocrite dans lequel les gens qui ramassent les fruits dans nos champs ou qui font nos lits n’ont aucune chance de voir un jour leur situation régularisée ?" Mais sans toujours réussir à éviter la mauvaise foi : "Nous n’expulserons pas massivement, ce n’est pas dans notre nature", a-t-il prétendu, alors qu’aucun chef de l’exécutif avant lui n’avait autant expulsé : environ 400 000 clandestins par an depuis 2009.

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L’espoir de régularisation dépend du Congrès américain

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Dans le détail, la réforme vise à protéger les immigrés clandestins dont les enfants sont citoyens américains ou résidents permanents aux États-Unis. À l’avenir, ils auront le droit de travailler dans le pays pendant trois ans, à condition d’y vivre depuis au moins cinq ans et de posséder un casier judiciaire vierge. Quatre millions de personnes sont concernées. Aucun espoir, en revanche, de régularisation de leur situation puisque celle-ci est du ressort exclusif du Congrès. Et pas davantage d’accès aux aides sociales et à l’assurance santé mise en place par l’Obamacare.

Les travailleurs agricoles clandestins ne bénéficieront pour leur part d’aucune protection particulière, la Maison Blanche ayant refusé d’accéder aux demandes des fermiers, qui emploient une main-d’oeuvre latino aussi nombreuse qu’illégale. Les autorités redoutent que d’autres secteurs d’activité comme le high-tech, lui aussi friand d’immigrés, ne demandent une faveur du même genre.

Les Mexicains devraient être les principaux bénéficiaires du plan Obama : 44 % sont concernés, contre 24 % pour les ressortissants d’autres pays.

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La protection offerte aux dreamers ("rêveurs"), ces jeunes arrivés illégalement aux États-Unis alors qu’ils étaient enfants (Obama leur avait offert en 2012 un sursis à expulsion), va également être étendue. Il ne sera plus nécessaire d’avoir moins de 31 ans pour en bénéficier (un million de personnes sont concernées). Les parents, s’ils sont toujours clandestins, sont en revanche exclus du bénéfice de la réforme. Une cruelle déception pour les dreamers, qui avaient réussi à sensibiliser l’opinion américaine au drame que constitue une expulsion pour une famille. Depuis deux ans, ils interpellent les médias sur ce thème et harcèlent les parlementaires. Ils ont même interrompu à plusieurs reprises des discours d’Obama !

Autre nouveauté, le programme Secure Communities, qui obligeait les polices locales à placer en détention avant leur expulsion les clandestins arrêtés pour des infractions mineures, excès de vitesse par exemple, va être abrogé. C’était la hantise de toutes les familles comptant un clandestin en leur sein, le moindre trajet en voiture pouvant s’achever par une expulsion. Les polices locales sont désormais priées de se concentrer sur les sans-papiers ayant des antécédents criminels.

Selon le Pew Center, 56 % des Hispaniques préfèrent vivre et travailler sans crainte d’être expulsés plutôt que d’être un jour régularisés. Les Mexicains devraient être les principaux bénéficiaires du plan Obama : 44 % sont concernés, contre 24 % pour les ressortissants d’autres pays.

> > Lire aussi: Le Texas: terre d’accueil des réfugiés africains aux États-Unis

Le coup de force d’Obama

Même si, tant qu’une loi n’aura pas été votée, la réforme reste provisoire, le coup de force d’Obama sur un sujet aussi explosif fait couler beaucoup d’encre. Nombre de constitutionnalistes dénoncent une extension sans précédent – et illicite – du pouvoir présidentiel. Plusieurs prédécesseurs d’Obama avaient pourtant fait la même chose. En 1986, par exemple, après que le Congrès eut amnistié 3 millions de sans-papiers, Ronald Reagan avait dans la foulée régularisé par décret la situation de 100 000 clandestins. Beaucoup moins, il est vrai, que les 5 millions d’Obama…

Chez les républicains, c’est un tollé. Une menace d’impeachment a même été agitée. Président de la Chambre des représentants, John Boehner accuse Obama de se comporter en "empereur", tandis que le sénateur ultraconservateur Ted Cruz, du Texas, citant Cicéron, préfère le comparer à Catilina, ce sénateur qui complota pour renverser le Sénat – celui de Rome, bien sûr. Parfois, pour faire bonne mesure, il voit en lui un simple "trafiquant de faux papiers". Quant à l’ineffable Michele Bachmann, républicaine du Minnesota et égérie du Tea Party, elle redoute que, grâce à la réforme, les démocrates bénéficient du renfort d’innombrables "électeurs illettrés".

Les républicains divisés

Mais la palme du mauvais goût revient sans doute à un caricaturiste d’Indianapolis. Dans un dessin vite retiré du site internet de son journal, il montrait une famille de sans-papiers pénétrant par la fenêtre dans une maison où une famille blanche s’apprêtait à fêter Thanksgiving (qui tombait cette année le 20 novembre). "Grâce à Obama, disait la légende, nous avons des invités supplémentaires !"

Reste que les républicains sont beaucoup plus divisés sur la question qu’il n’y paraît. Certains craignent que de telles saillies fassent perdre à leur parti le vote – crucial – des Latinos, en particulier lors de la présidentielle de 2016. Ils ont en tête le précédent Mitt Romney, qui, en 2012, avait invité les sans-papiers à "s’autoexpulser". Résultat : Obama avait raflé 71 % des suffrages hispaniques. Beaucoup penchent donc pour la ligne modérée incarnée par un John McCain ou un George W. Bush. Gouverneur du New Jersey et favori, parmi d’autres, de la primaire républicaine, Chris Christie est de ceux-là. Alors qu’il n’a d’ordinaire pas sa langue dans sa poche, il n’a fait aucun commentaire sur le plan Obama. Même prudence du côté de Rand Paul, autre candidat sérieux à l’investiture du GOP. D’autres recommandent de reprendre le projet de loi adopté par le Sénat en 2013, qui offrait une régularisation définitive à tous les sans-papiers.

Les Américains eux-mêmes sont très loin d’être unanimes. À en croire un sondage NBC/Wall Street Journal, 48 % d’entre eux désapprouvent le décret d’Obama, et 38 % l’approuvent. Mais ils sont 57 % à soutenir une régularisation à terme des sans-papiers. Une proportion qui passe à 74 % lorsque celle-ci est conditionnée au paiement des arriérés d’impôts et à l’examen du casier judiciaire, comme le prévoit le Sénat. Barack Obama n’est donc pas infondé à déclarer que les États-Unis "sont et resteront toujours une nation d’immigrants".

Combien d’Africains ?

Combien d’Africains présents illégalement sur le territoire américain bénéficieront-ils du plan Obama ? Difficile à dire, en raison du manque de statistiques fiables. Le Migration Policy Institute estime néanmoins que, sur les 11 millions de sans-papiers que compte le pays, 200 000 seraient originaires d’un pays d’Afrique. En 2007, 25 % des 100 000 Africains admis chaque année à séjourner sur le territoire des États-Unis avaient obtenu l’asile politique, contre seulement 7 % pour l’ensemble des immigrants. En 2010, 25 % des Africains qui avaient pu s’y établir légalement avaient été tirés au sort lors de la fameuse Green Card Lottery, 22 % s’étaient vu octroyer le droit d’asile et 42 % avaient bénéficié du regroupement familial. Selon le Pew Center, 29 % des Africains sans papiers devraient bénéficier du plan Obama. Soit, à la louche, environ 58 000 personnes.

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