Rwanda : l’étrange affaire Gafirita

C’est l’histoire d’un ancien sergent qui disait détenir des informations compromettantes pour Kagamé et qui a disparu, le 13 novembre. Enquête sur un dossier plein de contradictions.

Marc Trévidic est l’un des magistrats chargés d’enquêter sur la mort d’Habyarimana. © Steve Terril/AFP

Marc Trévidic est l’un des magistrats chargés d’enquêter sur la mort d’Habyarimana. © Steve Terril/AFP

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Publié le 8 décembre 2014 Lecture : 4 minutes.

L’épave de l’appareil du président Juvénal Habyarimana, tué dans un attentat le 6 avril 1994. © Bouju/AP/Sipa
Issu du dossier

Attentat du 6 avril 1994 : retour sur l’enquête de la discorde entre la France et le Rwanda

Le 6 avril 1994, l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana donnait le signal de départ au génocide contre les Tutsi. Retrouvez tous nos articles sur ce dossier qui empoisonne depuis vingt ans les relations entre Paris et Kigali.

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Il a disparu mystérieusement à Nairobi le 13 novembre dans la soirée, contraint par deux inconnus de monter dans leur véhicule alors qu’il rentrait chez lui. Ancien sergent de l’armée rwandaise, Émile Gafirita, 40 ans, prétendait détenir des informations inédites sur la préparation de l’attentat commis le 6 avril 1994 contre l’avion de l’ancien président hutu Juvénal Habyarimana – lequel avait servi de déclencheur au génocide des Tutsis. Le 8 décembre, il devait être entendu par les magistrats parisiens Nathalie Poux et Marc Trévidic.

C’est en septembre dernier que ce témoin de la vingt-cinquième heure s’était signalé à la justice, via l’avocat français François Cantier. Une démarche tardive puisque les magistrats avaient annoncé aux parties deux mois plus tôt leur décision de clore l’instruction, ouverte en 1998. Dans un premier temps, son avocat avait demandé qu’il soit entendu sous le couvert de l’anonymat. Mais le juge Trévidic n’envisageait pas de rouvrir l’information judiciaire sans disposer d’éléments solides, invoquant "le nombre considérable de manipulations" déjà constatées dans ce dossier sensible. Émile Gafirita avait donc accepté de révéler son identité. Curieusement, c’est le journaliste français Pierre Péan qui a transmis à Me Cantier sa carte militaire ainsi qu’un témoignage en anglais. Selon une source proche du dossier, "les magistrats ont accepté de rouvrir l’instruction pour qu’on ne puisse pas dire qu’ils avaient négligé cette piste".

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>> Pour aller plus loin : Affaire Habyarimana, chronique d’un fiasco judiciaire français

Les confidences de Gafirita comportent des zones d’ombre

Dans sa déclaration écrite, Émile Gafirita affirme avoir convoyé les missiles sol-air qui auraient servi à abattre l’avion de Juvénal Habyarimana. Début 1994, ceux-ci auraient été acheminés depuis le quartier général du Front patriotique rwandais (FPR, rébellion majoritairement tutsie), dans le nord du pays, jusqu’à Kigali, où 600 soldats de la rébellion étaient cantonnés dans l’enceinte du Parlement au titre des accords de paix. Le témoin aurait lui-même appartenu au détachement présent dans la capitale. Derrière cette révélation susceptible d’accréditer l’implication du FPR dans l’attentat, les confidences de Gafirita comportent néanmoins plusieurs zones d’ombre.

La première porte sur les contradictions entre son récit et celui d’un précédent transfuge issu comme lui du FPR. Entendu par la justice française au début des années 2000, Abdul Ruzibiza (décédé en 2010), dont le juge Jean-Louis Bruguière, initialement chargé de l’enquête, avait fait son principal témoin à charge contre Paul Kagamé et ses hommes, livrait une version détaillée de l’acheminement des missiles vers Kigali. Mais Gafirita ne figurait pas parmi les six membres du convoi nommés par Ruzibiza.

D’après un officiel rwandais qui a pu consulter son dossier militaire, "Gafirita n’a jamais appartenu à la gendarmerie".

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Son patronyme n’apparaît pas davantage dans la liste officielle des 600 soldats du FPR présents à Kigali début 1994, que Jeune Afrique s’est procurée. Une source sécuritaire rwandaise haut placée apporte par ailleurs un démenti catégorique aux états de service revendiqués par l’intéressé : "Début 1994, Émile Gafirita était un simple soldat affecté à la sécurité du colonel Alexis Kanyarengwe [alors président du FPR]. Il était basé entre Mulindi et Byumba, où résidait le "Chairman", mais il n’a jamais été basé à Kigali." Tout aussi curieux, "la signature qui apparaît sur sa carte militaire de gendarme est différente de celle qui figure sur son témoignage écrit", indique une source judiciaire. Et d’après un officiel rwandais qui a pu consulter son dossier militaire, "Gafirita n’a jamais appartenu à la gendarmerie".

>> Lire aussi : Une histoire du génocide rwandais (#2), l’attentat du 6 avril 1994

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Gafirita aurait appartenu au RNC

Pour certaines parties civiles, comme la famille Habyarimana, la disparition de ce témoin profiterait au régime rwandais. L’hypothèse d’un enlèvement par un commando venu de Kigali apparaît pourtant ténue, dans la mesure où aucun élément du dossier ne permettait aux parties de connaître le lieu de résidence de Gafirita ni le nom d’emprunt qu’il avait adopté au Kenya. "J’ignorais moi-même dans quel pays il résidait", confie son avocat, qui ne communiquait avec lui que par e-mail.

François Cantier ne savait pas davantage que, plusieurs mois avant de demander à être entendu, Émile Gafirita avait été nommément désigné comme complice par l’un des organisateurs de l’attentat commis en septembre 2013 sur un marché de Kigali (2 morts et 46 blessés). Selon Joseph Nshimiyimana, dont le témoignage a été consigné sur procès-verbal, Gafirita serait en effet l’un des deux hommes qui ont lancé les grenades meurtrières. Condamné à perpétuité début octobre par la Haute Cour militaire, Nshimiyimana affirmait par ailleurs que cet attentat avait été organisé conjointement par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et le Congrès national du Rwanda (RNC), deux mouvements d’opposition en exil. Selon lui, Gafirita appartenait alors au RNC. Or depuis plusieurs années ce parti constitué d’anciens hauts responsables du régime Kagamé s’est fait une spécialité d’accuser l’actuel chef de l’État rwandais dans l’attentat de 1994, sans en avoir jusque-là donné la preuve.

"Nous souhaitions qu’il soit entendu, indique Me Léon-Lef Forster, avocat des sept Rwandais proches du régime de Kigali toujours mis en examen dans cette procédure. Sa disparition ne fait que retarder la clôture du dossier et jeter la suspicion sur la décision de non-lieu que nous attendons pour nos clients."

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