Torture au Tchad : un procès pour l’Histoire

Il aura fallu du temps. Vingt-quatre ans après la chute de Habré, ses anciens sbires doivent répondre de leurs crimes à N’Djamena. Plus que la police politique, la tristement célèbre DDS, c’est tout un système qui passe en jugement au Tchad.

Chaque jour depuis le 14 novembre, des dizaines de personnes assistent aux audiences. © DR

Chaque jour depuis le 14 novembre, des dizaines de personnes assistent aux audiences. © DR

Publié le 9 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Quelle épreuve, pour une victime, que de retrouver son bourreau, même trente ans après, même sur le banc des accusés. Que de l’entendre nier l’évidence et mépriser sa souffrance. Clément Abaïfouta en a eu les larmes aux yeux et la rage au coeur. S’il ne s’était pas trouvé à la barre d’un tribunal, il en serait peut-être venu aux mains avec celui qui, il y a trois décennies, l’observait en train de se faire torturer dans une pièce obscure et qui, aujourd’hui, l’accuse devant les caméras de la télévision nationale d’avoir été "acheté" par des officines étrangères pour le calomnier. Quelle épreuve, mais quel soulagement…

Le procès de 21 responsables de l’appareil répressif mis en place au Tchad entre 1982 et 1990, qui s’est ouvert le 14 novembre à N’Djamena, est, pour le président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré, tout à la fois "un moment ultime dans la vie de [leur] lutte", "un moment de pure émotion" et "une nouvelle page dans l’histoire de [leur] pays".

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Vingt-quatre ans après la chute du tyran, c’est la première fois que le système Habré passe en jugement. En 1992, une commission d’enquête avait bien été mise sur pied par le ministère de la Justice. Elle avait pointé du doigt les responsables, établi les ressorts d’un système basé sur la terreur, détaillé les tortures pratiquées dans les geôles de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), et abouti au chiffre (contesté) de 40 000 assassinats politiques. Puis plus rien. Habré a longtemps vécu un exil paisible au Sénégal. Quant aux exécutants de la terreur identifiés par l’enquête, ils se promenaient librement à N’Djamena.

Plusieurs victimes ont déposé des plaintes dès 2000 au Sénégal et au Tchad. Mais il a fallu attendre la décision du Sénégal de juger son hôte encombrant, mi-2012, pour que la machine judiciaire se mette enfin en branle. Les autorités tchadiennes ne s’en cachent pas : l’arrestation d’une quarantaine de responsables de la répression en mai 2013 puis le renvoi de la majorité d’entre eux devant la cour criminelle sont des conséquences de la procédure enclenchée au Sénégal.

>> Lire aussi : Torture au Tchad – Clément Abaïfouta : "On ne s’attendait pas à un tel déni"

Ambiance électrique

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Le procès de Habré, qui croupit dans une cellule depuis dix-sept mois, est annoncé à Dakar pour mai 2015. En attendant, ce sont donc 21 hommes, pour beaucoup des sexagénaires, qui doivent répondre de leurs actes. Tous ont nié les faits qui leur sont reprochés (dont assassinat, torture et détention arbitraire) le premier jour du procès. Les exactions, ils ne les ont apprises qu’à la fin du régime, ont-ils affirmé, provoquant l’ire des dizaines de victimes qui, chaque jour, assistent aux audiences dans une ambiance électrique.

Des plaignants et des proches des prévenus ont même failli en venir aux mains. Les jours suivants, ce sont les avocats qui ont perturbé l’audience : leur grève, qui n’a rien à voir avec ce procès (ils réclament le paiement d’arriérés), a obligé la cour à suspendre les débats durant plusieurs jours.

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Ainsi, le procès pourrait durer plus longtemps que prévu. Lors de sa déclaration liminaire, le procureur a insisté sur le fait qu’"il faudra prendre tout le temps nécessaire pour rendre justice aux victimes". Mais un expert qui assiste aux audiences regrette qu’"on ne rentre pas dans le détail du rôle de chacun des accusés". Certains prévenus n’ont même jamais été entendus par le juge d’instruction, et jamais les victimes et leurs bourreaux présumés n’ont été confrontés avant le procès.

"Après des années d’inertie, tout est allé très vite", indique notre expert, qui parle d’une procédure "organisée en urgence", certainement pour devancer celle contre Habré au Sénégal. Sera-t-elle équitable ? Human Rights Watch s’en est inquiété : "Un procès vicié serait une insulte aux victimes."

>> Lire aussi : Les fantômes de Hissène Habré


Le documentaire « Parler de Rose »  narré par Juliette Binoche raconte la vie et la mort de Rose Lokissim,
une prisonnière de 
Hissene Habré. Il sortira en janvier. Voici la bande-annonce.

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