Sénégal : Aïssa Dione, de fil en aiguille

Avec ses tissus et ses meubles contemporains, fabriqués selon des techniques traditionnelles, la créatrice Aïssa Dione a conquis les plus grands couturiers et décorateurs à travers le monde.

Aissa Dione chez elle à Dakar, en octobre 2014. © Youri Lenquette/Pour J.A.

Aissa Dione chez elle à Dakar, en octobre 2014. © Youri Lenquette/Pour J.A.

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 15 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Dakar: hôte du 3ème sommet de la Francophonie. © Jeff Attaway/flickr
Issu du dossier

Dakar, dans tous ses états

Vingt-cinq ans après le premier sommet africain de l’OIF, la planète francophone va retrouver la métropole sénégalaise, les 29 et 30 novembre 2014. Avec ses 3 millions d’habitants, la ville la plus à l’ouest du continent a bien changé. Côté politique, côté business, comme côté loisirs.

Sommaire

Tout a commencé "par un coup de bluff", raconte Aïssa Dione. En 1985, la jeune artiste-peintre installée à Dakar tente de vendre ses oeuvres à Pierre Babacar Kama, grand patron des Industries chimiques du Sénégal (ICS). L’homme d’affaires lui répond qu’il préférerait que ses bureaux bénéficient d’un lifting.

"Bien que n’ayant aucune expérience dans ce domaine, se souvient-elle en souriant, je lui ai répondu : "Je m’en occupe !"" Elle se met alors au travail, aidée par le tisserand de sa grand-mère. En quelques mois, tous les fauteuils et meubles du siège d’ICS étaient refaits, leur PDG comblé, et la jeune femme convaincue d’avoir trouvé sa voie.

la suite après cette publicité

Près de trente ans plus tard, cette élégante femme de 62 ans est à la tête d’Aïssa Dione Tissus (ADT), une entreprise florissante réputée dans le milieu international du luxe et de la décoration haut de gamme. Sa spécialité : des tissus et des meubles contemporains réalisés selon des techniques ancestrales. Fabriqués à Dakar grâce aux savoir-faire traditionnels mandjaques, ses produits se vendent aussi bien au Bon Marché, le plus chic des grands magasins parisiens, que dans des showrooms new-yorkais ou des concept stores lagosiens.

Cette réussite économique et artistique repose aussi sur un credo politique : "Je veux prouver qu’il est possible de consommer sénégalais, explique la créatrice. En Afrique, nous produisons des tas de matières premières – coton, bois, cacao, diamants… -, mais nous ne fabriquons quasiment rien. Avec cette entreprise, nous démontrons que nous savons transformer ces richesses nous-mêmes, en ciblant la qualité."

© DR/aissadione.net/

la suite après cette publicité

Fervente promotrice du made in Senegal

Les tissus et les meubles de cette fervente promotrice du made in Senegal sont fabriqués dans les deux ateliers de l’entreprise. L’un est situé dans le centre de Dakar et l’autre à Rufisque (à 25 km de la capitale). Chacun emploie une cinquantaine d’ouvriers qualifiés : tisserands oeuvrant sur des métiers traditionnels ou mécaniques, teinturiers, menuisiers, tapissiers… Quand elle ne voyage pas, c’est là, au milieu du cliquetis des machines, qu’Aïssa Dione passe une grande partie de ses journées.

la suite après cette publicité

Dans sa manufacture dakaroise, elle va de poste en poste pour s’assurer que tout va bien, vérifiant le travail de l’un, prenant des nouvelles d’un autre ou donnant son avis sur les courbes d’une table basse. Née à Nevers, en France, d’un père sénégalais et d’une mère française, celle qui se définit comme une "designer textile" a toujours eu la fibre artistique. Une passion qui ne l’a pas quittée, comme en témoignent les nombreuses expositions qu’elle organise régulièrement dans sa villa d’un quartier huppé de la capitale. Après un passage par l’école des beaux-arts de Chelles, elle s’envole pour le Sénégal à l’âge de 20 ans, avec la ferme intention d’y faire carrière.

Aïssa Dione a réalisé des tissus pour les couturiers Christian Lacroix, Louis Féraud, Paco Rabanne et la maison Hermès.

Son "coup de bluff" la mènera donc vers le tissage et la filière coton, qu’elle verra progressivement décliner depuis le lancement de son entreprise, en 1992. "Entre les années 1970 et 1990, on comptait 70 000 emplois dans le secteur. Aujourd’hui, nous sommes la dernière société sénégalaise à produire du textile, déplore-t-elle. Le comble, c’est que nous sommes désormais obligés d’importer du fil égyptien pour continuer de fabriquer nos produits !" Dotée d’un solide réseau, la dynamique femme d’affaires travaille d’ailleurs, en coopération avec les autorités, sur un business plan visant à relancer la filière coton au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.

Les difficultés du secteur ne l’ont cependant pas empêchée de faire ce qu’elle voulait : "Monter une société sénégalaise connue à l’étranger, tout en pérennisant le savoir-faire national." Les affaires tout comme la cote de l’entreprise sont vite montées en flèche. Elle a réalisé des tissus pour les couturiers Christian Lacroix, Louis Féraud, Paco Rabanne et la maison Hermès.

Elle travaille aussi avec les plus grands décorateurs (Christian Liaigre, Jacques Grange, Peter Marino…) et vient d’assurer le réaménagement des 68 suites de l’hôtel King Fahd de Dakar, qui accueillera une bonne partie des chefs d’État et de gouvernement lors du sommet de la Francophonie, fin novembre. "Il faut bien que nos présidents s’assoient dans de jolis fauteuils fabriqués dans leurs pays !" s’esclaffe-t-elle. Business artistique et engagement politique : la formule magique d’Aïssa.

>> Lire aussi Design: Ousmane Mbaye, l’homme de fer

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Dans le même dossier

La commune du Plateau, sud de la presqu’île de Dakar, en 2014. © Youri Lenquette/Pour J.A.

Francophonie – Sénégal : retour à la case Dakar