Musique : Idris Ackamoor, le dernier Pharaon de l’afrobeat
Plus déjantée que jamais, la star américaine de l’afrobeat des années 70 fait un come back réussi. Et cherche une nouvelle fois l’inspiration dans ses racines africaines.
Il déboule sur la scène du théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, en passant par les rangs du public. Sur sa tête, une improbable coiffe de pharaon dorée, accordée à un costume pailleté. Puis il se lance dans un solo de saxo ébouriffant mêlant free jazz et afrobeat… Avant de faire un numéro de claquettes sous le regard des spectateurs incrédules mais conquis par ce gamin de 65 ans.
Idris Ackamoor c’est ça : une énergie artistique que ni son flot de notes, ni ses pirouettes scéniques ne semblent pouvoir épuiser. Et des références africaines bien plus profondes que ne le laissent penser ses costumes débusqués au rayon farces et attrapes.
C’est en 1972 qu’Idris Ackamoor fonde son groupe mythique, The Pyramids, inspiré par les expériences de Sun Ra et Fela. « Avec la flûtiste Margaux Simmons, mon ex-femme et le multi-instrumentiste Kimathi Asante, nous voulions aller en Afrique. Notre école nous a dit « Ok… mais si vous suivez des cours français pendant 5 semaines. »
Nous nous sommes donc retrouvés internes à Besançon. Nous couchions dans trois dortoirs différents, et nous nous sommes faits la réflexion que si nous tracions un trait entre eux, cela formait un triangle : d’où le nom de notre groupe, les pyramides ! »
Chez les « sauvages »
Après un court détour vers Amsterdam, les trois Africains-Américains entament un périple de neuf mois chargé : Maroc, Sénégal, Ghana, Ouganda, Kenya, Éthiopie… « Je me souviens que ma famille avait très peur. L’image que nous avions de l’Afrique était celle d’un continent encore très sauvage, dangereux ! Mais j’avais pris conscience de l’importance de mes racines, et ce voyage était essentiel pour moi. »
Bruce Baker, de son vrai nom, a grandi à Chicago, une ville où la ségrégation raciale s’exprimait durement à l’égard de la communauté noire. Sa mère institutrice, très engagée dans le mouvement des droits civiques, est licenciée pour avoir contestée le traitement injuste dont elle faisait l’objet dans son établissement.
« Elle a fini par retrouver du travail mais loin de chez nous, dans le Wisconsin (à plus de 200 kilomètres de son foyer, ndlr). Mon père la rejoignait, mais seulement le week-end. » Participant tôt aux manifestations, sensible au mouvement du Black Power, l’étudiant en musique se choisit un pseudonyme célébrant l’Afrique des pharaons.
Cérémonies jujus
Ce qu’il découvre sur place dépasse ses espérances. « Ce voyage a changé ma vie, explique le musicien. J’ai découvert des sons totalement nouveaux, des styles différents dans chaque pays, et même dans chaque région, voire village, que je visitais ! » Le jeune jazzman enregistre tout, y compris les improvisations qu’il réalise avec les musiciens qu’il rencontre. « À Tamale, au Ghana, nous avons été adoptés par les musiciens du roi, et même invités dans leurs famille… » Pièce d’archive incroyable, Idris Ackamoor a ainsi conservé cet enregistrement de mars 1972 réalisé en extérieur avec ces percussionnistes du nord du Ghana.
À Bogotenga, le saxophoniste se mêle aux cérémonies religieuses. « J’ai joué de la musique, mais le prêtre juju m’a aussi emmené à part, dans une hutte de boue séchée. Il m’a donné une petite pièce de métal trouée et m’a dit de faire un vœu, en parlant dans le trou… »
Ces expériences musicales et spirituelles vont irriguer le travail de The Pyramids durant les cinq ans de la première vie du groupe, de 1972 à 1977. Rythmes, compositions, danses, costumes… Le « matériel » récupéré en Afrique permet au groupe de régner sur la scène afro-jazz américaine, avant qu’une séparation à l’amiable ne mette fin temporairement à l’aventure.
Tournée africaine
Ce n’est que récemment, en 2012, que The Pyramids s’est reformé. « Nos vieux vinyles se vendaient très chers sur Internet… Jusqu’à 400 dollars (380 euros) l’album ! Plusieurs labels m’ont sollicité pour des rééditions. Je me suis dit qu’il fallait remonter notre formation. » Depuis, le groupe enchaîne les concerts et a sorti un nouveau disque inspiré mêlant afrobeat, jazz et funk, au titre éloquent : « We Be All Africans » (Strut records).
Faire une tournée africaine ? Idris Ackamoor y pense. « C’est dans mon agenda », assure le musicien qui a déjà un pied en Afrique du Sud : il a participé à une création de pièce de théâtre avec les détenues d’une prison pour femmes de Johannesburg. Rien que pour le transport des instruments, le jazzman a calculé qu’il faudrait débourser près de 10 000 dollars (9 500 euros environ). Ackamoor perdra sans doute un peu d’argent dans l’opération mais qu’importe, il souhaite rendre à l’Afrique un peu de l’inspiration qu’elle lui a apporté.
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