Corée du Nord : menteuse pour la bonne cause !
La scène se passe à la mi-octobre, à Dublin, lors du One Young World Summit, manifestation qui réunit les jeunes leaders de demain. Devant un public silencieux, une jeune fille se lève. Vêtue d’un costume traditionnel rose pâle, elle évoque d’une voix tremblante son enfance en Corée du Nord, les rivières charriant des cadavres, sa mère violée sous ses yeux… Elle finit, en larmes, par implorer le monde de l’aider à libérer son peuple.
Vingt-sept mille réfugiés du Nord vivent aujourd’hui en Corée du Sud. Tous ont fui leur pays au péril de leur vie. Park Yeonmi est l’un d’eux. Elle n’avait que 13 ans lorsque, en 2007, elle a traversé le fleuve Tumen pour gagner la Chine. Elle s’est ensuite terrée en Mandchourie pendant des mois avant d’entreprendre un interminable périple qui, via le désert de Gobi et la Mongolie, l’a conduite en Corée du Sud. La jeune fille s’est alors reconstruite, a appris l’anglais et s’est fait la porte-parole des réfugiés nord-coréens. Elle court désormais la planète, enchaîne les interviews et raconte en boucle les horreurs de son enfance. Début novembre, consécration ultime, la BBC l’a désignée comme l’une des "cent femmes de l’année".
Le problème est que Yeonmi n’a pas tout à fait vécu ce qu’elle raconte. Ô certes, elle a bien fui son pays dans des conditions effroyables, mais son enfance a été heureuse. Fille de privilégiés du régime, elle allait au cinéma à Pyongyang avec ses copines, regardait des DVD américains, jouait à Mario Kart et portait des tee-shirts "Princess Disney" roses… Avant qu’elle ne soit enrôlée par des think tanks d’activistes peu scrupuleux, elle-même évoquait volontiers cette enfance insouciante…
La pauvre fille n’y est sans doute pour rien, mais comment ne pas être scandalisé par les manipulations auxquelles se livrent certaines associations ? En l’espace de quelques mois, pour les besoins de campagnes – légitimes ! – pour la défense des droits de l’homme, une ado issue de l’élite nord-coréenne a donc été transformée en une gamine famélique se nourrissant de racines. La mise en scène est parfaite.
Elle permet à la jeune fille, dont la véritable histoire était pourtant tout aussi bouleversante, d’obtenir une gloire facile de nature à faire rêver les autres réfugiés. Ceux qui n’ont pas fait de chirurgie esthétique et n’ont pas appris l’anglais. Mais qui ont réellement mangé des nouilles faites de terre et d’eau. Pour Mike Bassett, spécialiste américain de la Corée du Nord, "Yeonmi est aujourd’hui une activiste. Elle a un agenda politique qui vise à obtenir des instances internationales un durcissement des sanctions contre Pyongyang. C’est une menteuse".
Pour avoir rencontré et écouté les récits de centaines de réfugiés nord-coréens, je serais moins péremptoire. Car Yeonmi est aussi, doublement, une victime : persécutée naguère par le régime de Pyongyang, elle est aujourd’hui manipulée par des militants que les scrupules n’étouffent pas. Reste une question : le mensonge peut-il aider à la manifestation de la vérité ? À méditer.
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