François Fillon, ou la vengeance du « collaborateur »
On ne saura sans doute jamais si l’ancien Premier ministre a vraiment demandé au secrétaire général de l’Élysée de faire « taper » Nicolas Sarkozy par les magistrats. Mais l’histoire des relations entre les deux hommes ne rend pas l’accusation invraisemblable.
Il y a trois semaines, Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, tentait en vain de calmer la tempête déclenchée au Parti socialiste par l’entrée "en fronde" de Martine Aubry : "Vous rendez-vous compte de la brutalité des formules que vous vous lancez à la figure ?" Il ne se doutait pas que, déjà, se profilait à droite un psychodrame autrement meurtrier.
Tout cela pour quelques lignes de Sarko s’est tuer, le percutant livre de deux journalistes du Monde, qui révèle que François Fillon, lors d’un déjeuner le 24 juin avec le secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, son ex-ministre et désormais ex-ami, aurait évoqué la ténébreuse affaire Bygmalion, avant de lâcher, entre la poire et le fromage : "Tu as bien conscience, Jean-Pierre, que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir ! Alors, agissez !"
"Le" ? Nicolas Sarkozy, bien sûr. "Tapez" ? C’est-à-dire, sans le dire, faites accélérer par l’Élysée les enquêtes judiciaires engagées contre l’ancien chef de l’État pour "abus de confiance" de manière à torpiller ses chances de reconquérir le pouvoir avec l’aide irremplaçable d’une UMP à sa dévotion. Un croche-pied pour se débarrasser de son plus dangereux concurrent dans le marathon élyséen.
Une conception de la politique "digne de son idée de la France"
Reprise en une par Le Monde, la révélation provoque d’abord la stupéfaction. De tous les dirigeants français, Fillon semble l’un des moins soupçonnables de félonie. Son image d’intégrité inspire d’ailleurs sa première contre-attaque. Il n’est pas, dit-il, un "homme de coup bas", n’a jamais été "impliqué dans une affaire" et s’est toujours battu pour une conception de la politique "digne de son idée de la France". Mais voilà que de nouveaux rebondissements achèvent de jeter le trouble. Jouyet vole d’abord au secours de Fillon en affirmant qu’il n’a sollicité aucune intervention de l’Élysée. Il va jusqu’à lui exprimer par SMS ses excuses et regrets : "Sincèrement désolé de ces bruits de couloir élyséens rapportés à des journalistes." Sincèrement ?
Deux jours plus tard, il se parjure en démentant son démenti, non point par scrupule ou remords mais parce qu’on venait d’apprendre que l’entretien controversé avait été enregistré par les auteurs de Sarko s’est tuer. Lesquels l’avaient fait écouter à des confrères influents qui en avaient corroboré la teneur : Fillon a effectivement évoqué le dossier Bygmalion et les pénalités infligées à Sarkozy pour le dépassement de ses comptes de campagne. Jouyet, qui en a aussitôt informé François Hollande, réfute toute intervention de l’Élysée, confirmant en creux que l’ancien Premier ministre l’a bel et bien sollicitée.
>> Lire aussi : Fillon – Sarkozy : le match est lancé
Mis au parfum par des "sources fiables", les journalistes du Monde ont néanmoins tenu à vérifier leur scoop auprès de Jouyet. Celui-ci ne s’est opposé ni à l’entretien ni à son enregistrement, convenant d’emblée : "Vous êtes bien informés." Il a simplement souhaité que ses propos ne soient pas reproduits entre guillemets, exigence respectée. Dernier piquant détail : le fatidique déjeuner, à l’initiative de Jouyet, avait été approuvé par Hollande à condition qu’il n’ait pas lieu au palais présidentiel. Il fut finalement déplacé dans un restaurant à proximité. La présence d’un troisième convive, Antoine Gosset-Grainville, allait mettre le comble aux embrouillaminis des polémiques. L’ancien directeur adjoint du cabinet de Fillon à Matignon démolit la rétractation de Jouyet : "Fillon n’a demandé aucune intervention."
Aussitôt, droite et gauche se déchaînent à coups d’accusations réciproques de "manipulation" et de "complot". En riposte au PS, qui l’accuse d’amorcer une nouvelle lutte à mort entre ses chefs, l’UMP dénonce "une affaire montée de toutes pièces au moment où le pouvoir est au plus bas. On flingue aujourd’hui Fillon ; demain, ce sera Juppé". Hollande est plus ou moins ouvertement soupçonné d’avoir participé à cette "Élyséegate". Au nom d’un raisonnement hasardeux : s’il décidait de se représenter, Sarkozy serait pour lui le meilleur, en tout cas le moins à craindre, de ses adversaires de droite à cause de l’effet épouvantail de son retour sur l’ensemble des électorats de gauche, qu’il serait alors plus facile de ressouder et de mobiliser que pour un duel avec Juppé ou Fillon.
Reste à comprendre le plus surprenant des propos présumés de Fillon, quel que soit par ailleurs l’arbitrage aléatoire de la justice, car si de part et d’autre les présomptions sont fortes, les preuves sont inexistantes. Pourquoi cet acharnement contre Sarko ? À l’origine de ce nouveau psychodrame, Le Monde renchérit : "Pourquoi tant de haine ?" Pas si nouveau en réalité, car entre les deux hommes, c’est une longue histoire de "je te hais moi non plus", où les rivalités feutrées dans le secret des cabinets alternent avec les protestations de bonne entente pour la galerie.
Une série de vexations
Un proche de Fillon tempère : "La vérité est qu’ils s’exaspèrent." Leur couple avait mal commencé. Le président n’avait pas supporté que son Premier ministre se déclare "à la tête d’un État en faillite" ; non pour la faillite, mais pour le sacrilège de s’être situé au sommet du pouvoir. Il l’avait donc remis à sa place, celle d’un "collaborateur", par une série de vexations. Un jour, il convoque à l’Élysée un conseil interministériel en son absence et sans même l’en informer… Un autre, il oublie de le citer dans un discours-bilan, puis l’empêche d’aller commenter à TF1 les désastreux résultats des élections régionales…
Fillon a beau savoir que, sous la Ve République, les chefs de gouvernement sont de grands avaleurs de couleuvres, rarement crédités de ce qui va bien, toujours responsables de ce qui va mal et voués à sauter dès que le président juge nécessaire de changer de fusible, il envisage sérieusement de démissionner. Puis y renonce après s’être assuré à sa façon, sans coup d’éclat mais sans non plus faiblir, qu’il serait mieux traité à l’avenir. "Mon soutien n’est pas alignement. Nous sommes différents, mais Sarko est comme il est, on ne le changera pas. Nous avons appris à travailler ensemble." Les compensations ne lui manquent pas.
Dans un photomontage en couverture, Le Point le rhabille en (futur) chef de l’État. Toujours en tête des sondages, où Sarkozy poursuit sa dégringolade, et plébiscité par sa majorité, il se rend si bien indispensable que le président décidera de le garder jusqu’à la fin du quinquennat. Dès lors, tout va changer. "Leur séparation, confie Roselyne Bachelot, a été douloureuse comme une séparation amoureuse, mais Fillon est aujourd’hui soulagé." En tout cas, il se sent complètement libre à l’égard de son ancien patron. "C’est à moi maintenant de prendre mes responsabilités", estime-t-il. Il ne croit guère au serment de Sarko de renoncer à la politique et décide, dès ce moment sans doute, de lui barrer la route du retour.
Plus que 8% des personnes interrogées veulent qu’il se présente à la présidentielle
La revanche s’annonce mal. Ses empoignades avec Jean-François Copé pour la présidence du parti puis dans les miasmes du scandale Bygmalion, la maladresse, de son propre aveu, avec laquelle il n’écarte pas la possibilité d’un vote Front national en cas de duel électoral avec un socialiste ("on choisit le moins sectaire") lui valent une sévère sanction des sondages.
Mais c’est l’affaire Jouyet qui risque de lui coûter le plus cher. L’institut Odoxa en enregistre aussitôt les dégâts. Jugeant peut-être, malgré les imputations de complot et les plaintes en diffamation, que de tels propos "ne s’inventent pas", 58 % des personnes interrogées déclarent avoir "une mauvaise opinion" de l’ancien Premier ministre. Elles ne sont plus que 8 % à souhaiter sa candidature élyséenne.
D’abord convaincu de la trahison de Fillon ("tout ça est vrai, je suis très déçu"), Sarko saisit l’aubaine d’une victimisation qui pourrait le protéger des foudres de la justice. Il n’a que trop beau jeu, lui, le "clivant", de jouer les rassembleurs magnanimes. Il s’indigne donc des mensonges du pouvoir et se paie même le luxe de faire soutenir le "loser" par Gérald Darmanin, son porte-parole.
Ironie des ADN politiciens, les deux ennemis ont du moins une vertu commune : ils ne renoncent jamais. Fillon n’a cure des sondages, joue la durée et compte pour l’emporter au finish sur son programme de "véritable rupture" sociale et économique. Comme il l’a écrit dans un livre, il reste persuadé que "les Français peuvent supporter la vérité". Supporter, peut-être, mais en accepter les douloureuses conséquences, au pays de tous les Bonnets rouges, c’est une autre histoire !
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