Algérie : trois femmes et un Coran
Elles ont participé au Congrès international féminin organisé à Oran sous l’égide du cheikh soufi Khaled Bentounès. Leur ambition : promouvoir une lecture progressiste des textes sacrés.
Démanteler les stéréotypes, déconstruire le discours des fondamentalistes et les "fausses vérités" cumulées au fil des siècles au sujet de la femme pour lui permettre de se réapproprier son histoire, ses droits et sa dignité, et ce en privilégiant une lecture du Coran libérée des carcans et des visions étriquées.
Tel est l’objectif que s’est assigné le Congrès international féminin pour une culture de paix, qui s’est tenu du 28 au 31 octobre, à Oran, en Algérie. Organisée, en association avec la fondation Djanatu al-Arif, par l’Association internationale soufie alawiya (AISA), créée par le cheikh Khaled Bentounès et qui oeuvre pour l’émergence d’une société du bien vivre ensemble, cette rencontre s’est voulue un espace de débats en vue "de promouvoir et d’encourager la réflexion autour de la création d’un mouvement féminin international, force vive qui porte l’islam de demain".
Voici le point de vue de trois éminentes intervenantes sur les questions du voile, du droit des femmes à l’aune des traditions et de la modernité, et de leur avenir dans le monde musulman.
Le voile
Pour l’islamologue tunisienne Mongia Nefzi Souahi, le conflit qui oppose partisans et détracteurs du voile est une "bataille illusoire". "Le voile, qui caractérise aujourd’hui la femme musulmane, n’est pas seulement islamique, car il remonte à très loin dans l’Histoire. Les Grecs de l’Antiquité, les juifs depuis Abraham et les chrétiens l’ont prôné. La frumka [voile intégral] est explicitement citée dans la Torah", rappelle-t-elle.
Si le voile est mentionné dans le Coran, les musulmanes demeurent libres de le porter ou non. "Chacun est libre de ses choix, et la question de l’habit fait partie des libertés fondamentales, poursuit Mongia Nefzi Souahi. Le problème de la femme, ce n’est pas le voile mais l’analphabétisme. Nous avons besoin de construire nos pays culturellement, scientifiquement et économiquement. Nul besoin de se focaliser sur cette question secondaire. Il convient certes que la femme musulmane s’habille d’une manière décente, mais c’est pour éviter, comme le recommande l’islam, que son corps ne devienne un objet commercial et ne s’expose nu pour vendre un parfum ou un savon."
Directrice de la chaire d’anthropologie religieuse à l’université Zitouna, à Tunis, et présidente de la Ligue tunisienne de défense des libertés académiques, Iqbal Gharbi préfère parler de voiles au pluriel : "Il y a le voile étendard politique, le voile traditionnel, celui de la modernité et de la séduction avec des accessoires, etc. Derrière chaque voile, il y a des choix, des trajectoires et des histoires personnels."
Le voile est une pratique sociale qui est aujourd’hui devenue un sacrement religieux, déplore Wassyla Tamzali, ex-directrice des droits des femmes à l’Unesco. Mais pour cette féministe algérienne, l’émancipation de la femme passe d’abord par celle de la société : "Dans nos sociétés, hommes et femmes ont des rôles selon leur sexe qui tiennent davantage de l’anthropologie et de la culture. Nous avons sacralisé une morale sexuelle." Et de souligner que, contrairement aux femmes, les hommes ne sont pas assujettis à une pratique vestimentaire qui indiquerait leur niveau de piété.
Entre tradition et modernité
Comment privilégier une lecture progressiste du Coran ? Exemple concret donné par Mongia Nefzi Souahi : "Si l’on considère le verset 34 de la sourate IV, dans lequel il est dit que "les hommes ont une préséance sur les femmes […] à cause des dépenses qu’ils font pour assurer leur entretien" et qu’on le rapporte à la réalité moderne – les femmes travaillent et participent directement aux dépenses du foyer -, alors ce principe dit "de supériorité" devient obsolète, ouvrant la voie à l’application du principe d’égalité."
Il est aussi urgent de faire le ménage dans les dizaines de hadiths forgés et ouvertement misogynes attribués au Prophète, et qui "ont influencé les mentalités pendant des siècles et paralysé les sociétés musulmanes". Parallèlement à cette lecture éclairée du Livre saint, Iqbal Gharbi prône une approche plus équitable en matière d’octroi de la pleine citoyenneté aux femmes.
"Nous devons déconstruire toute cette violence qui émane des extrémistes islamistes, ainsi que leur discours patriarcal, rétrograde et réactionnaire. Cela passe par l’élaboration d’un nouveau discours en harmonie avec les valeurs universelles et les aspirations féminines." Cette éthique planétaire conjuguerait deux universalités : celle des droits de l’homme, de l’égalité et de la citoyenneté, et celle de la morale ancestrale ou traditionnelle.
Cela fait un siècle que nombre de musulmans, femmes et hommes, essaient de faire évoluer leurs sociétés vers plus de modernité sur la base du principe "tous libres et égaux", mais ils ne sont pas écoutés, rappelle Wassyla Tamzali. Pis, ils sont délégitimés par les pouvoirs en place, qui bloquent ainsi délibérément toute évolution, perçue comme une menace contre le statu quo et, partant, contre leur autorité.
"Il fallait se reporter à la morale et à la spiritualité de l’islam, qui reconnaît la dignité-liberté, pour parvenir à la consécration de l’égalité-liberté. Mais la religion musulmane a évolué dans un sens restrictif, devenant un catalogue d’interdits et laissant peu, ou pas, de place à la liberté de conscience. Le peuple a été coupé de ses élites, injustement accusées d’être occidentalisées. C’est pourquoi ce type de rencontre est important. Le courant soufi est davantage tourné vers la spiritualité et peut contribuer à construire la liberté de conscience pour faire en sorte que cette religion accompagne la société dans son évolution, sans drame ni rejet. D’ailleurs, le cheikh Bentounès est venu prier devant nous main dans la main avec une femme. Il faut le dire, c’est extrêmement important."
>> Lire aussi : Islam : et Dieu libéra la femme
L’avenir
Selon Mongia Nefzi Souahi, l’avenir repose sur l’éducation : "L’analphabétisme des femmes atteint de trop fortes proportions dans le monde arabe. Beaucoup de jeunes filles, alors qu’elles peuvent avoir accès à l’éducation, sont encore retirées de l’école à un âge très précoce. Ajoutons à cela la médiocrité des programmes scolaires. C’est là que se situent les vrais enjeux pour nos sociétés. Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, c’est une cohérence entre les principes de l’islam, les droits de l’homme et le progrès."
Les femmes maghrébines ont toujours été en lutte, souligne Iqbal Gharbi. Elles ont participé à la libération de leurs pays, mais elles n’ont pas été vraiment récompensées. Aujourd’hui, elles veulent voir leurs droits reconnus parce qu’elles pensent que la liberté, la dignité et les droits sont indivisibles.
Et elles entendent profiter de la consécration planétaire des droits de l’homme comme valeur universelle pour faire triompher leur cause. Mais cela suppose une volonté politique : "Seule la force du droit fera avancer les choses. Il faudrait pour cela de grandes réformes au niveau du système éducatif, mais aussi un effort pédagogique en direction des médias, toujours aussi décisifs dans la formation des opinions."
Les droits des femmes commencent par la reconnaissance de leur dignité et de leur liberté. "La femme est l’égale de l’homme, sans bémol, sans exception liée à la conjoncture, assène Wassyla Tamzali. Sans cette reconnaissance, rien ne peut se faire. La politique des petits pas adoptée par les gouvernants arabes par manque de courage ne suffit plus. Il faut aller plus loin et plus vite, sinon ce que l’on fait revient à appliquer un cataplasme sur une jambe de bois… Mais rien n’arrête la marche des sociétés, et quels que soient les obstacles actuels, je garde bon espoir, car la démocratie et l’égalité hommes-femmes sont des principes de vie, et ceux qui s’y opposent le font au nom d’une pensée mortifère, qui veut tuer le désir de vie et de liberté qui est en chacun de nous."
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