Côte d’Ivoire : la voix royale des chefs coutumiers

Parce que les chefs coutumiers ne sont pas que les reliques d’un folklore suranné et qu’ils peuvent faire perdre ou gagner une élection, le gouvernement a eu soin de réformer leur statut.

À Grand-Bassam, le roi Tanoé Désiré (ici, fin octobre avec sa femme). © Vincent Kowalski pour J.A.

À Grand-Bassam, le roi Tanoé Désiré (ici, fin octobre avec sa femme). © Vincent Kowalski pour J.A.

Publié le 4 décembre 2014 Lecture : 4 minutes.

Mis à jour le 5/12 à 15h28.

Autrefois, dans une autre vie, Nanan Awoula Tanoé Désiré était l’ambassadeur de Côte d’Ivoire au Nigeria. Cette fonction, il l’a occupée pendant près d’une décennie, dans les années 1990. Depuis 2003, il est le roi des N’Zima, à Grand-Bassam. En ce dimanche de la fin du mois d’octobre, un sceptre à la main, des parures d’or autour du cou, il fait son entrée au rythme des danses et des tambours sacrés. Il préside à la cérémonie d’ouverture de la fête de l’Abissa dans le quartier France de ce qui fut, au XVIIIe siècle, la capitale de la Côte d’Ivoire. Quel âge a-t-il ? Aucune idée. On ne demande pas l’âge d’un roi. Son entourage se contente de préciser qu’il était déjà, du temps où il servait l’État, le doyen des ambassadeurs en poste à Abuja.

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À Grand-Bassam comme dans le reste du pays, la fonction de roi ou de chef traditionnel n’est pas qu’honorifique. Elle ne relève pas non plus d’un folklore suranné. Dans certains domaines aussi cruciaux que la résolution des conflits ou le maintien de la paix sociale, ils se substituent souvent à un État trop faible. Depuis 2002, plusieurs ont joué un vrai rôle dans le maintien de la paix au niveau local. C’est donc avec enthousiasme que le roi Tanoé Désiré salue la mise en application d’une loi renforçant le statut des autorités coutumières.

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Votée le 11 juillet à l’unanimité des députés présents ce jour-là, cette loi reconnaît les rois et chefs traditionnels comme des interlocuteurs, voire des partenaires. Elle prévoit aussi la création d’une Assemblée censée se réunir une fois par an et d’une Chambre pour leur permettre d’harmoniser leurs décisions. "Ce texte était attendu. Il nous sort du statut de simple auxiliaire de l’administration coloniale", souligne le roi des N’Zima, qui a sous son autorité trente-deux chefs traditionnels. Et d’ajouter avec prudence : "On peut faire de cette Chambre une référence en matière de prévention de conflits, de résolution de crises et une force de proposition. C’est à nous de montrer que nous sommes à la hauteur."

Pour Nanan N’Depo Dodo, secrétaire de l’Association des rois et chefs traditionnels, cette loi marque un nouveau départ. Jusque-là, un arrêté colonial désuet daté de 1934 les réduisait à de simples gardiens de la tradition. "Nous servions plutôt de décoration pendant les cérémonies officielles, explique N’Depo Dodo. Mais, désormais, la fonction de roi et de chef traditionnel est rétablie dans sa dignité. Nous allons pleinement pouvoir remplir notre mission de paix et de cohésion sociale."

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Promesse de campagne

Près de 8 000 chefs coutumiers que compte la Côte d’Ivoire vont désormais bénéficier d’un budget de fonctionnement pour leur Chambre. Le gouvernement travaille actuellement à lister les personnalités qui y siégeront. "Cette loi va aussi permettre de dire qui est roi, qui est chef traditionnel et qui est chef de village", souligne-t-on à Abidjan. Nombre d’entre eux se sont déjà retrouvés pour jeter les bases d’une feuille de route et définir les contours de leurs actions, tels des passeurs entre leurs sujets et autorités centrales. Certains ont participé, mi-octobre à Abidjan, à un séminaire sur les techniques de médiation lancé par le Forum des souverains et leaders traditionnels d’Afrique et mené avec le soutien des experts de la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire. L’un des premiers conseils prodigués ce jour-là était de "retirer sa veste politique"…

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Il faut dire que l’enjeu est d’importance, et ce n’est pas un hasard si, en 2010, Alassane Ouattara avait fait de cette loi une promesse de campagne. Pas un hasard non plus si elle a été adoptée avant la présidentielle de 2015. Résultat, les rois et chefs traditionnels ne cachent pas qu’ils se sentent bien disposés à l’égard du chef de l’État sortant, candidat à sa propre succession, et des deux hommes qui ont permis au texte d’être adopté : Hamed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur, et Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale.

Tous savent à quel point ils ont intérêt à ménager les chefs coutumiers.

Tous savent à quel point ils ont intérêt à ménager les chefs coutumiers. Ils connaissent leur poids et leur influence et ne commettront pas l’erreur de les sous-estimer. Pourtant, Félix Houphouët-Boigny, le père de la nation ivoirienne, se méfiait de cette chefferie, qu’il consultait peu. Après lui, ni Henri Konan Bédié, ni le général Robert Gueï, ni Laurent Gbagbo n’avaient souhaité modifier son statut.

"Ouattara est originaire du Nord, où l’influence des chefs traditionnels demeure prégnante, croit savoir un député du Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir). Il est plus sensible à cette question et connaît bien l’enjeu électoraliste de la chefferie." Si le Nord lui est favorable, le chef de l’État tient à gagner des alliés dans le centre du pays, fief de son allié Henri Konan Bédié.

Le 17 septembre, lorsque celui-ci appelle à soutenir la candidature de Ouattara à la prochaine élection, c’est aussi aux chefs traditionnels baoulés qu’il s’adresse. Leur donner un nouveau statut, commente un cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de Bédié), "c’est un très joli coup politique". À Grand-Bassam, le roi Nanan Tanoé récuse pourtant toute tendance partisane. "Notre Chambre va fonctionner comme une institution autonome, indépendamment des partis politiques. Nous nous devons d’être neutres."

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