Burkina Faso : Alizéta Ouédraogo, la chute de la « belle-mère nationale »
C’était l’un des membres les plus influents du premier cercle de la présidence. Réfugiée à Paris, Alizéta Ouédraogo, l’ex-« belle-mère nationale », dit n’avoir pas vu venir la chute de Compaoré et veut rentrer au pays.
Rien ne s’est passé comme prévu. Jamais Alizéta Ouédraogo n’avait imaginé que deux jours suffiraient à mettre un terme à vingt-sept années de pouvoir, qu’une marée humaine contraindrait Blaise Compaoré à la démission, et que des centaines de manifestants, pressés d’en découdre avec les symboles du régime, pilleraient et incendieraient son élégante maison, située à deux pas de la place de la Nation. À l’en croire, il s’en est fallu de peu : "Je suis partie en sandales, sans passeport, sans vêtements de rechange, sans rien. J’ai tout perdu."
Et c’est vrai qu’Alizéta Ouédraogo avait beaucoup à perdre. Femme d’affaires prospère, elle a fait fortune dans le cuir et dirigeait, depuis 2011, la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina. Une ascension fulgurante qui, ne manquaient pas de rappeler ses détracteurs, avait coïncidé avec le mariage de sa fille Salah avec François, le frère cadet de Blaise Compaoré, en 1994.
Fossé entre l’élite et la jeunesse burkinabè
Le 16 novembre, elle est arrivée à Paris après avoir transité par le Bénin, mais elle refuse de s’étendre sur les circonstances de sa fuite. Tout juste reconnaît-elle avoir voyagé avec un passeport diplomatique béninois. Elle ne souhaite pas non plus dire ce que sont devenus ses proches. "Mon crime est d’avoir François pour gendre", soupire-t-elle en parlant de celui qui fut, pendant plus de deux décennies, le conseiller économique du chef de l’État, jusqu’à être pressenti pour prendre sa succession.
Des événements de la fin octobre, elle retient surtout "le déferlement de haine" qui les a visés elle, ses enfants et des dizaines d’autres dignitaires du régime. Quand François Compaoré a pris la fuite, sa maison a été pillée et présentée par certains médias comme la "maison des horreurs". La rumeur veut que des fétiches maléfiques y aient été retrouvés. "Tout cela m’a fait rire, prétend-elle. Mon gendre ne pourrait même pas tuer une mouche."
Sans doute, comme les autres, a-t-elle sous-estimé la profondeur du fossé qui existait entre l’élite et la jeunesse burkinabè. Sans doute n’a-t-elle compris que trop tard que les membres du clan Compaoré cristallisaient toutes les frustrations d’un peuple excédé et qu’elle, qui était si écoutée au sommet de l’État, n’y échapperait pas. "Je pensais que le débat sur la modification de l’article 37 de la Constitution serait tranché par les voies institutionnelles et républicaines." Au lieu de quoi ses entreprises ont été pillées et incendiées.
"J’ai perdu deux tanneries avec un stock important de marchandises. Les machines ont été détruites par les flammes, les bâtiments ont été mis à sac, les magasins où étaient stockés les produits finis ont été pillés et incendiés, énumère-t-elle. Les manifestants se sont aussi rendus dans ma carrière de granulats routiers et ont détruit une centrale d’enrobage, une centrale de concassage. Ils ont même détruit le siège d’Azimmo, ma société immobilière." Les dégâts, selon elle, se chiffrent à 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros). "J’ai été obligée de renvoyer chez eux mes 1 287 salariés. Quiconque veut gouverner un pays aussi pauvre que le nôtre devrait se préoccuper de préserver les acquis économiques."
>> Lire aussi : le récit de la chute de Compaoré heure par heure
Tout reconstruire
À n’en pas douter, l’ex-"belle-mère nationale" tient à protéger ses intérêts. Ce qu’elle veut, à 60 ans passés, c’est retourner au pays et tout reconstruire. Sa fortune, insiste-t-elle, n’a pas été constituée à l’ombre du régime : "J’ai gagné mon premier milliard avant que ma fille épouse le frère du président." Et d’ajouter qu’elle a rencontré Blaise Compaoré en 1986. À l’époque, cette ancienne secrétaire d’une agence de l’ONU se proposait de racheter la filiale locale de la CFAO et la Société burkinabè de manufacture du cuir. "Les opposants ont manqué de patience. Il n’était pas nécessaire d’en arriver là. Compaoré aurait fini par passer la main." Pas sûr qu’à Ouaga les tenants de l’insurrection soient de son avis.
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