Adoption en RD Congo : un quatrième Noël sans les enfants
Cinquante-quatre enfants nés en RDC ont été adoptés par des familles étrangères. Mais aujourd’hui ils sont encore dans l’impossibilité de rejoindre le territoire français. Le 1er janvier, un arrêté doit suspendre toutes les adoptions et retirer l’agrément aux organismes qui s’occupaient des enfants. Un couperet pour Thierry Moutenot et sa famille.
La fête chrétienne de Noël est un symbole de famille réunie. Mais cette année, nous n’avons pas le cœur à la fête. Pour la quatrième fois, nous la passons sans nos enfants. Cette année encore, Baptiste et Benjamin, fêtent Noël dans un orphelinat de Kinshasa. Comme de nombreux autres enfants, la France refuse leurs visas d’entrée.
Nos enfants avaient 3 et 4 ans lors de notre apparentement en juin 2013. Ils ont aujourd’hui 6 ans et demi et 7 ans et demi.
Baptiste et Benjamin grandissent loin de nous et sans parents. Dans leur orphelinat, ils ont appris à lire, écrire, pour nous envoyer des lettres et dessins touchants, avec lesquels ils disent leur impatience de vivre en France avec nous. Nous avons tissé des liens avec eux grâce à des échanges de photos, d’appels téléphoniques ou par Skype, de cadeaux… Mais ils ne peuvent recevoir l’histoire et les câlins du soir avant de s’endormir ; la tendresse et l’amour de notre famille au quotidien.
Pendant qu’ils étaient à l’orphelinat, ils ont perdu certains de leurs copains, décédés. En France, des êtres chers nous ont quittés. Nos enfants ne les connaîtront qu’au travers de nos mots et de nos souvenirs… Début 2016, ils ont vu nombre de leurs copains partir pour rejoindre leurs parents adoptifs. Eux, sont restés. Comme si ces longues années d’attente n’étaient pas suffisantes. Elles ont été émaillées de décisions qui nous dépassent.
De moratoires congolais…
Toutes nos procédures avaient pourtant été confiée à Vivre en famille, un organisme autorisé pour l’adoption (OAA), habilité à intervenir en RD Congo par l’administration française et encadré par le Ministère des Affaires étrangères. Le 25 septembre 2013, première impasse, la sidération : la RD Congo décrète un moratoire d’un an sur l’adoption internationale. Face à une forte augmentation du nombre des adoptions, par crainte de trafic d’enfants dans les pays d’accueil, les autorités congolaises n’accordent plus de visas de sortie aux enfants. Une décision souveraine de ce pays, nous expliquent les autorités françaises à maintes reprises.
Le 25 septembre 2014, à notre grand effarement, le moratoire est prolongé pour une durée indéterminée. Les procédures d’adoption se poursuivent cependant en RD Congo. En mai 2015, nous obtenons les jugements d’adoption du Tribunal pour enfants de Kinshasa pour Baptiste et Benjamin. Ils sont, depuis ce jour, nos enfants. Ils portent notre nom. Notre joie est importante, même si la RD Congo bloque toujours toute sortie du territoire d’enfants adoptés.
Le 18 mars 2016, après la levée du moratoire congolais, la Commission interministérielle congolaise autorise leur sortie du territoire. Soulagement et joie. Notre dossier d’adoption part en France et nous finissons de boucler nos valises. Les vaccins obligatoires pour se rendre en RD Congo sont faits depuis bien longtemps. En juin 2016, lors d’un Skype, nos fils nous répètent leur impatience de nous rencontrer. Nous pouvons enfin leur promettre que nous irons les chercher très bientôt.
Aujourd’hui, c’est l’État français qui refuse l’entrée de nos enfants sur notre territoire. La situation est ubuesque.
Le 13 juillet 2016, c’est le choc : l’administration française refuse de délivrer leur visa d’entrée au motif « d’irrégularités dans les procédures et soupçons de fraude documentaire ». Cinquante-quatre enfants, au total, sont dans cette situation. Tous Français. Les enfants adoptés par des Américains, Belges, Canadiens ou Italiens, ont rejoint leurs parents depuis bien longtemps…
… au refus d’entrée sur le territoire français
Aujourd’hui, c’est donc l’État français qui refuse l’entrée de nos enfants sur notre territoire. La situation est ubuesque. Nous avons leurs passeports congolais attestant de leurs identités adoptives, mais nous ne pouvons exercer notre rôle de parents, sauf à aller vivre avec eux sur le sol congolais. Comment expliquer cette décision à nos enfants ? Que leur dire à présent ?
Nous les assurons de notre engagement à leurs côtés, nous sommes leurs parents pour la vie. Nous leur promettons de déposer les recours pour leur permettre de vivre enfin avec nous en France. Mais le temps presse.
Le 24 novembre 2016, le quai d’Orsay a en effet annoncé qu’au 1er janvier 2017, un arrêté suspendra toutes les procédures d’adoption en RD Congo et retirera les habilitations des OAA présents dans ce pays. Si tel est le cas, notre OAA ne pourra plus assurer la mission que nous lui avons confiée et sera incapable de veiller à la sécurité matérielle de nos enfants, ainsi qu’à notre lien avec eux.
Acculés par ces décisions arbitraires, tranchées et angoissantes, nous avons décidé de relayer les supplications de nos enfants à nos dirigeants par une pétition élaborée avec un autre couple.
Suite à une manifestation organisée à Paris le 19 décembre, notre collectif a été reçu par le ministère des Affaires étrangères. Mais nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés : nos interlocuteurs peinent à nous reconnaître comme les parents de nos enfants ; ce faisant, ils méconnaissent le droit international. Qu’est devenue la souveraineté congolaise dont le Quai d’Orsay nous a tant parlé durant la durée du moratoire ?
La situation politique en RD Congo ne fait que renforcer nos inquiétudes pour nos enfants, que ce soit pour leur santé morale, psychique, affective mais aussi physique. Nous avons dû nous résoudre avec une grande tristesse à passer un quatrième Noël sans nos enfants. Faute de pouvoir les porter dans nos bras, nous continuons à les porter dans nos cœurs. Comme tous les enfants, nous savons qu’ils ont besoin de câlins et de faits tangibles pour grandir et s’épanouir. Et pas seulement de promesses.
La situation est cruelle, inhumaine. Nous espérons qu’elle pourra se résoudre le plus rapidement possible, et avant la date butoir du 31 décembre.
Notre inquiétude est grande mais nous ne perdons ni courage ni espoir. Nous sommes convaincus que la famille est l’unité fondamentale de la société et le milieu naturel pour la croissance et le bien-être des enfants.
Nos hommes politiques doivent assurer la protection et l’assistance nécessaire pour que notre famille puisse jouer pleinement son rôle. Nous attendons d’eux le courage qui permettrait à ces enfants d’avoir des parents.
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