Tunisie : la dernière marche
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 24 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.
Les Tunisiens nous étonnent chaque jour un peu plus. De tous les peuples arabes, ils sont ceux qui ont fait montre de la plus grande maturité, malgré de vives inquiétudes après le maelström qui a suivi la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011. Ce sont eux, pourtant, qui avaient pris le plus de risques en lançant un mouvement que personne n’avait vu venir et en décidant de (re)partir de zéro, empruntant le chemin le plus long vers la démocratie.
Ils ont ainsi élu une Constituante en octobre de la même année, qui a fini par accoucher, le 26 janvier 2014, d’une loi fondamentale moderne, équilibrée et sans équivalent dans la région. Puis, le 26 octobre dernier, ils se sont donné la première Assemblée législative démocratiquement élue de leur histoire. Et ce 23 novembre, ils ont glissé leur bulletin dans l’urne pour choisir – ce n’est cependant que le premier tour – leur président. Tout aussi librement et en toute transparence. Aucun de leurs voisins ne peut se targuer de pareils résultats. Entre ceux qui ont choisi le changement maîtrisé et à dose homéopathique, ceux qui s’échinent à ne pas changer du tout et ceux qui, après leurs "révolutions", ont sombré dans le chaos ou la dictature militaire plus ou moins "light", selon les points de vue, difficile de trouver meilleur élève.
Reste donc, pour clore définitivement la transition, une dernière étape à franchir : le choix du président de la République. Lequel ne sera pas une "reine d’Angleterre" carthaginoise, contrairement à ce que l’on entend trop souvent. À l’heure des premières estimations à la sortie des urnes, l’alternative semble claire : ce sera Béji Caïd Essebsi, bientôt 88 ans, ou Moncef Marzouki, 69 ans. Le premier a pour lui son expérience, immense, son patriotisme et son sens du devoir (ce qui n’exclut pas une haute opinion de lui-même…). Mais aussi son bilan à la tête du gouvernement de la transition après la démission de Mohamed Ghannouchi, en février 2011, quand il remit un peu d’ordre dans une maison Tunisie aux allures de capharnaüm.
L’opposant Marzouki s’est mué en boulimique du pouvoir, le militant des droits de l’homme en Machiavel de bas étage.
À son crédit, enfin, le succès rencontré par le mouvement qu’il a créé, Nidaa Tounes, seul parti capable de résister à la volonté hégémonique des islamistes d’Ennahdha. Parti qui, sorti du néant, dama le pion à ces derniers lors des législatives d’octobre. Revers de la médaille : octroyer autant de pouvoir à un homme de son âge, c’est aussi, d’une certaine façon, jouer à la roulette tunisienne…
Seulement voilà, il se trouve qu’il a face à lui Moncef Marzouki. Ce dernier, auréolé de son passé d’opposant à Ben Ali et de militant des droits de l’homme, avait devant lui, en entrant au palais de Carthage, un boulevard, grâce en partie à ses amis islamistes mais surtout à son parcours. Il aurait pu laisser son empreinte, incarner le rassembleur, le dénominateur commun dans un pays qui, fatalement, s’est entredéchiré dès la fuite de Ben Ali. Au lieu de quoi, il a, près de trois ans durant, offert un spectacle affligeant.
L’opposant s’est mué en boulimique du pouvoir, le militant des droits de l’homme en Machiavel de bas étage, prêt à toutes les compromissions et à tous les coups tordus pour se maintenir en place, s’évertuant à jeter l’anathème sur tous ceux qui représentent une menace pour lui, divisant les Tunisiens pour mieux régner, érigeant la délation (la diffamation, devrait-on dire) en mode de gouvernance. On pourrait ajouter, vu les symptômes affichés, que le médecin aurait dû devenir patient… Bref, ce n’est pas là vraiment l’image que l’on se fait de l’homme d’État dont le pays a aujourd’hui grandement besoin. Pourvu que les Tunisiens ne ratent pas cette dernière marche.
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